Le Parlement français a voté lundi pour ancrer le droit à l’avortement dans la Constitution, faisant de la France le premier pays au monde à offrir une protection explicite à l’interruption de grossesse dans sa loi fondamentale. 

Les avortements jusqu’à la 10ème semaine de grossesse ont été autorisés en France en 1975. Depuis, la loi a changé pour permettre aux femmes d’avorter jusqu’à la 14ème semaine de grossesse, et les frais de l’intervention sont pris en charge par l’assurance maladie. 

Le président Emmanuel Macron a qualifié la décision des parlementaires de « fierté française » qui a envoyé un « message universel », et une cérémonie publique spéciale a été organisée à Paris pour célébrer cet événement, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars. 

La France entend également « porter ce combat au niveau européen », a déclaré mercredi la porte-parole du gouvernement Prisca Thévenot. « En 2022, le président de la République a annoncé son intention d’inscrire le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », a-t-elle indiqué. 

La décision des législateurs français intervient alors que les pays membres de l’UE et le Parlement européen sont parvenus à un accord en février sur les règles de l’Union pour lutter contre la violence à l’égard des femmes. 

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a salué lundi le vote des parlementaires français. « Nous saluons la décision de la France de garantir les droits des femmes et de sauver leurs vies », a déclaré le chef de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, dans un message sur X (ex-Twitter). 

Cependant, après le vote du Parlement français, le Vatican a réitéré son opposition à l’IVG. « L’Académie pontificale pour la vie rappelle qu’à l’ère des droits de l’homme universels, il ne peut y avoir de « droit » à enlever une vie humaine », a déclaré l’institution indépendante siégeant au Vatican dans un communiqué, faisant écho aux préoccupations déjà exprimées par les évêques catholiques français.

Les droits reproductifs menacés 

Emmanuel Macron s’est engagé l’année dernière à protéger l’avortement dans la constitution après que la Cour suprême des États-Unis a annulé en 2022 le droit à cette procédure vieux d’un demi-siècle, permettant à chaque État américain de l’interdire ou de le restreindre. 

À l’époque, le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis s’était dit « vraiment troublé par la décision de la Cour suprême américaine. C’est un pas en arrière majeur dans les combats pour les droits des femmes », avait-il affirmé sur X.

Le Premier ministre français Gabriel Attal a déclaré que le droit à l’avortement restait « en danger » dans le monde entier, nos « libertés son par essence menacées… à la merci des décideurs ». 

Les contre-campagnes conservatrices mettent à mal les avancées mondiales en matière de droits des femmes, le dernier « retour de bâton » d’une série remontant aux années 1980, ont averti des militants et des experts à l’approche de la Journée internationale des droits des femmes. Les observateurs affirment que ces progrès en matière de droits des femmes ont été systématiquement suivis de réactions négatives depuis les années 1980. 

La théorie du « backlash » a été détaillée par la féministe américaine Susan Faludi dans son livre de 1991, « Backlash : The Undeclared War Against American Women ». Il décrit la stratégie des mouvements conservateurs américains à la suite de la libéralisation des lois sur l’avortement et de l’entrée des femmes sur le marché du travail dans les années 1970. 

La violence contre les femmes en hausse

Organisé et politisé, le contre-mouvement s’attaque au droit à l’IVG, alimente la haine et le harcèlement en ligne et encourage également la violence domestique, affirment les chercheurs. 

L’UE a adopté en février sa toute première loi visant à lutter contre la violence à l’égard des femmes. La loi vise à protéger les femmes des 27 pays de l’Union européenne contre la violence sexiste, les mariages forcés, les mutilations génitales féminines et le harcèlement en ligne. La Commission européenne a proposé pour la première fois cette législation majeure le 8 mars 2022, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. 

Cependant, l’accord ne parvient pas à inclure une définition commune du viol. L’accès à l’IVG devrait être accessible aux victimes de viol, mais un certain nombre d’États dans le monde restreignent l’avortement même en cas de viol et d’inceste. Les États opposés à la définition du viol dans le texte ont fait valoir qu’il n’a pas la dimension transfrontalière nécessaire pour être considéré comme un crime passible de sanctions communes dans l’Union, remettant ainsi en question la compétence de l’UE en la matière. 

Fin février, l’Institut du 8 Mars, une ONG slovène, a lancé une campagne pour une IVG sûre et accessible dans toute l’Europe. La campagne, intitulée « Ma voix, mon choix », vise à recueillir un million de signatures dans toute l’UE et rassemble des organisations d’Espagne, de France, de Pologne, de Finlande et d’Irlande. 

Les organisateurs ont identifié cette question comme étant importante à l’approche des prochaines élections européennes et en raison de la montée de l’extrémisme en Europe. Comme dans d’autres pays, la Slovénie est confrontée à des niveaux croissants de violence à l’égard des femmes et aux stéréotypes sexistes dans de nombreux domaines. 

Le droit à l’avortement en Europe 

Alors que le droit à l’IVG est de plus en plus menacé, les pays européens disposent de règles autorisant l’interruption de grossesse – certaines étant toutefois plus strictes que d’autres. Une sélection de plusieurs pays montre leurs différences. 

Albanie : En Albanie, l’avortement a été autorisé par la loi au début des années 1990 et les chiffres témoignent d’une diminution significative du nombre des cas. Les groupes de défense des droits des femmes et les spécialistes de la santé publique s’inquiètent toutefois de l’avortement dit sélectif selon le sexe. Même selon les estimations les plus modestes, il « manque » en Albanie des milliers de filles, après des années d’interventions sélectives qui ont conduit à l’interruption de grossesse par des familles espérant avoir des enfants de sexe masculin. Malgré une prise de conscience croissante, des valeurs profondément ancrées semblent difficiles à renverser – et les experts préviennent que cela pourrait conduire à un déséquilibre social. 

Bulgarie : L’IVG a été légalisée en Bulgarie en 1956. En 1968, le gouvernement a interdit aux femmes sans enfants d’avorter par crainte du dépeuplement. D’autres restrictions ont également été introduites au fil des années, mais après la fin du régime communiste, l’avortement pendant le premier trimestre de la grossesse a été à nouveau autorisé. Actuellement, une femme peut choisir d’avorter avant la fin de la 12e semaine. 

République tchèque : La République tchèque dispose d’une loi autorisant l’IVG depuis 1957. En cas d’interruption de grossesse à la demande de la mère, la date limite est la 12e semaine de grossesse, et en cas d’anomalies génétiques, la 24e semaine. Les propositions des législateurs visant à restreindre les avortements n’ont pas abouti. Une écrasante majorité de Tchèques est favorable à la liberté de décision en matière d’avortement, selon une enquête menée en 2023 par le Centre de recherche sur l’opinion publique de l’Académie tchèque des sciences (CVVM). 

Allemagne : L’IVG n’est pas entièrement légalisée en Allemagne, mais reste impunissable pendant les douze premières semaines si la femme reçoit des conseils au préalable. Cependant, le SPD social-démocrate, les Verts et les libéraux du FDP du gouvernement allemand envisagent de supprimer l’article 218 du code pénal, dans lequel elle figure actuellement. 

Italie : Une loi promulguée en 1978 sur l’interruption volontaire de grossesse a souvent fait l’objet d’âpres controverses et de vives attaques en Italie. La loi précise qu’il est possible d’avorter dans un établissement de santé publique au cours des 90 premiers jours uniquement dans les « circonstances dans lesquelles la poursuite de la grossesse, l’accouchement ou la maternité présenterait un danger grave pour la santé physique ou mentale de la femme ». La loi autorise également l’objection de conscience de la part des médecins et des infirmières, ce qui rend plus difficile l’accès à l’avortement, dont l’Italie a officiellement l’un des taux les plus bas au monde. 

Pologne : L’avortement n’est actuellement autorisé en Pologne que si la grossesse est le résultat d’un viol ou d’un inceste ou si elle menace la santé ou la vie de la mère. Le nouveau gouvernement de coalition polonais veut annuler une décision de 2020 de la Cour constitutionnelle, influencée par des juges nommés par le parti conservateur Droit et Justice (PiS) alors au pouvoir, et qui avait mis un terme à un compromis sur l’avortement vieux de plusieurs décennies, conduisant ainsi à un arrêt presque complet des IVG.  

Portugal : Les lois sur l’IVG au Portugal ont été libéralisées le 10 avril 2007, autorisant un avortement à la demande d’une femme jusqu’à la 10e semaine de grossesse. Récemment, la question d’un nouveau référendum sur le droit à l’avortement dans la loi portugaise a été soulevée lors de la campagne politique par un candidat de l’Aliança Democrática, une coalition de trois partis conservateurs, pour les élections législatives du 10 mars. Mais ce thème n’a été repris par aucun des partis politiques ou coalitions en lice. 

Roumanie : En Roumanie, l’IVG est réglementée par la loi (Code pénal) et peut être pratiquée jusqu’à la 14e semaine de grossesse, mais uniquement par des médecins spécialistes autorisés. Passé ce délai, la personne procédant à l’avortement est punie d’une peine d’emprisonnement ou d’amende et de l’interdiction d’exercer certains droits, sauf exceptions, mais la femme enceinte échappe à toute sanction. Pour l’avortement non chirurgical (avec pilules), les recommandations des directives médicales, corroborées par celles des notices pharmaceutiques, prévoient un délai de neuf semaines. Après plus de neuf semaines de grossesse, cette méthode n’est plus utilisée par les médecins. 

Slovénie : La Slovénie est l’un des rares pays qui confère aux parents le droit constitutionnel de décider librement de la naissance de leurs enfants. En conséquence, l’avortement est légal et autorisé en Slovénie, et le nombre d’IVG est très faible. Cependant, la question de l’avortement est fréquemment évoquée dans les débats des milieux politiques et de la société civile, en particulier dans le contexte d’un renforcement perçu d’opinions et d’initiatives plus conservatrices sur cette question. 

Espagne : En Espagne, l’interruption volontaire de grossesse est régie depuis 2010 par une loi votée sous le gouvernement socialiste de José Luis Rodríguez Zapatero. La loi a été approuvée en 2023 par la Cour constitutionnelle, qui a consacré le droit des femmes de décider « de manière autonome et sans coercition » de poursuivre ou non leur grossesse, un droit exécutoire par l’administration publique. Il permet une IVG dans les 14 premières semaines. La loi reconnaît également la possibilité d’interrompre une grossesse jusqu’à la 22e semaine s’il existe un « risque sérieux » de pathologie fœtale ou lorsque la vie de la mère est en danger. 

Suède : En Suède, le gouvernement étudie actuellement la manière de moderniser la loi sur l’avortement de 1975 afin de permettre aux femmes de pratiquer plus facilement des IVG à domicile, en toute sécurité. La plupart commencent dans une clinique ou un hôpital, avec des médicaments administrés aux patientes, puis son finalisées à domicile. Les avortements sont légaux en Suède depuis 1938, la législation actuelle les autorisant jusqu’à la 18e semaine.

 Cet article est publié chaque semaine. Le contenu est basé sur les informations des agences participant à l’ENR.