« La France est tellement mal gérée et tellement désindustrialisée et tellement à l’os que la Commission européenne est aujourd’hui obligée de placer sous contrôle budgétaire la France, un petit peu comme elle l’avait fait avec la Grèce il y a quelques années, c’est-à-dire qu’aujourd’hui la France est au niveau de la Grèce (…) donc en effet la France est en voie de tiers-mondisation et l’Union européenne est obligée de la placer sous contrôle, on en est là (…) et aujourd’hui la France ne représente plus rien dans l’économie européenne« , assure dans une vidéo TikTok le 21 novembre un usager, Jeremy Marquie, qui se présente comme fournissant des vidéos avec « un autre regard sur l’actu« .

Le texte de la même vidéo a été repris, y associant des images d’illustration et une voix-off, dans un autre TikTok collectant près de 200.000 vues et plus de 3.300 partages depuis le 3 décembre, et la vidéo de Jeremy Marquie est reprise en « duo » (une fonctionnalité sur TikTok permettant d’ajouter sa propre vidéo en parallèle d’une vidéo déjà existante) par des dizaines d’autres comptes sur la plateforme.

Les mêmes affirmations ont aussi été diffusées sur Facebook, notamment par des comptes basés en Afrique francophone voulant dénoncer ce qu’ils nomment la « faillite de la France« .

Capture d’écran prise sur TikTok le 07/12/2023
Capture d’écran prise sur TikTok le 07/12/2023

Attention : elles sont néanmoins infondées, et reposent sur des éléments sortis de leur contexte sur la situation économique de la France, ont expliqué cinq économistes à l’AFP.

Les règles européennes

La Commission européenne (lien archivé ici) est la branche exécutive de l’Union européenne (UE). Parmi ses rôles, figure celui de fixer les priorités en matières de dépenses et d’établir le budget de l’UE, qui doit ensuite être soumis au vote du Parlement et du Conseil de l’UE.

En parallèle, la Commission « surveille l’évolution de la situation budgétaire et du montant de la dette publique dans les États membres en vue de déceler les erreurs manifestes« , comme indiqué dans le traité de Maastricht (lien archivé ici), document fondateur de l’UE.

Ce dernier fixe aussi des règles budgétaires communes, que les Etats membres se sont engagés à respecter.

Parmi elles, les pays se sont entendus pour essayer de ne pas dépasser des niveaux de référence ou « seuils d’alerte » concernant les prévisions de déficit et de la dette publique : cette dernière ne doit pas dépasser 60% du Produit Intérieur Brut (PIB), et le déficit public ne doit pas excéder 3% du PIB, hors cas exceptionnels ou trajectoires descendantes se rapprochant de ces valeurs de référence.

Capture d’écran de l’article 104 C du traité de Maastricht, prise le 07/12/2023

Pour encadrer ces objectifs, le Conseil de l’UE a adopté en 1997 le Pacte de stabilité et de croissance (PSC), qui détaille une liste de critères à respecter pour les Etats, afin d’assurer la « bonne santé des finances publiques des États membres de l’Union européenne« , et d’éviter les dettes publiques trop élevées.

« La Commission, en tant que gardienne des traités, assure la mise en œuvre du Pacte de stabilité et de croissance qui vise à préserver la stabilité financière et la capacité d’investir des Etats de la zone euro, contribuant ainsi à la réalisation des objectifs de l’Union en matière de croissance durable et d’emploi« , détaille un haut fonctionnaire de la Commission européenne à l’AFP le 6 décembre.

« Si un Etat membre s’affranchit des règles communes et mène une politique d’endettement public excessif, cela peut avoir des effets négatifs pour les autres pays partageant la même monnaie« , développe-t-il.

Les traités prévoient aussi que la Commission peut, après plusieurs étapes, proposer des sanctions à l’encontre d’un Etat, soumises ensuite à un vote des membres du Conseil.

Mais dans les faits, de telles sanctions n’ont jamais été appliquées, rappellent un haut fonctionnaire de la Commission européenne ainsi que tous les économistes interrogés par l’AFP.

Par ailleurs, avec la crise liée au Covid-19, ce Pacte a été « mis en suspens« , ce qui signifie qu’aucune nouvelle procédure à l’encontre d’un Etat n’a pu être ouverte depuis 2020, même si la Commission a continué à surveiller les évolutions des budgets des Etats et à fournir des recommandations, « purement formelles« , explique Raul Sampognaroéconomiste à l’OFCE, le 6 décembre auprès de l’AFP.

Cette « mise sur pause » du PSC, actée en 2020 par une clause dérogatoire (lien archivé ici), qui est pour l’heure activée jusqu’à fin décembre 2023, devrait être levée en 2024.

Une réforme du PSC a été proposée (lien archivé ici) au printemps 2023, et est toujours, début décembre, en cours de discussions entre les États membres représentés au Conseil de l’UE et le Parlement européen. Si elle était votée, elle pourrait remplacer le cadre du PSC existant à partir de 2024.

Les rumeurs autour d’une prétendue annonce en 2023 de placement de la France « sous contrôle budgétaire » par la Commission européenne sont donc infondées, et reposent sur une mauvaise compréhension du fonctionnement de cette dernière, relèvent tous les experts interrogés par l’AFP.

Les recommandations récentes de la Commission sur la France

En novembre 2023, la Commission a, en l’attente de potentielles nouvelles réglementations, donné le 21 novembre son avis (lien archivé ici) sur les projets de budgets provisoires des pays de l’UE, et donc de la France, pour l’année 2024.

Elle y indique que quatre pays (la France, la Croatie, la Belgique et la Finlande), présentent des « risques » de ne pas se conformer aux recommandations faites en juillet 2023 par le Conseil, et les « invite » à « prendre les mesures nécessaires » pour le faire.

La France risque de ne pas s’aligner avec les recommandations « notamment en raison d’une croissance des dépenses publiques primaires nettes au-dessus de celle recommandée par le Conseil« , détaille un haut fonctionnaire de la Commission, notant que « les règles du Pacte de stabilité et de croissance incitent les Etats membres à corriger leur trajectoire budgétaire afin de garantir des positions fiscales assainies et une dette publique soutenable« .

En juillet, la Commission avait en effet demandé (lien archivé ici) à la France de « mener une politique budgétaire prudente, notamment en plafonnant à un maximum de 2,3% l’augmentation nominale des dépenses primaires nettes financées au niveau national en 2024« .

Or selon les estimations mentionnées en novembre, « le projet de budget 2024 de la France conduirait à une augmentation de 2,8 % des dépenses primaires nettes« .

Cet avis n’a néanmoins « aucune conséquence contraignante directe« , relèvent Catherine Mathieu (lien archivé ici) et Henri Sterdyniak (lien archivé ici), économistes à Sciences Po, auprès de l’AFP le 6 décembre.

La Commission peut proposer des recommandations aux Etats, mais ces derniers sont bien décisionnaires des politiques mises en place in fine.

« A moyen terme, le gouvernement français est plus ou moins obligé de se donner l’objectif de réduire le déficit public, mais il le fait très lentement« , ajoutent Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak.

« Il n’y a pas de procédure de contrôle budgétaire » visant la France, et le principe d’un « contrôle budgétaire » via lequel la Commission européenne « prendrait entièrement la main » du budget d’un pays « n’existe pas« , souligne un haut fonctionnaire de la Commission européenne à l’AFP le 6 décembre.

L’idée d’un « contrôle budgétaire » à travers lequel la Commission prendrait totalement en main les finances d’un pays relève d’une « mauvaise utilisation de cette terminologie« , et « ne s’applique dans tous les cas pas à la situation actuelle de la France« , confirme Jérôme Creel (lien archivé ici), professeur d’économie à l’ESCP et économiste à l’OFCE, auprès de l’AFP le 6 décembre.

La France déjà épinglée pour « déficit excessif »

Chaque année, la Commission examine ainsi les projections de budgets des Etats, et exprime son opinion et des recommandations.

Un pays peut être placé en « situation de déficit excessif » (lien archivé ici), s’il présente un niveau de déficit ou de dette supérieurs à ceux fixés dans le PSC.

Concrètement, cela signifie que l’Etat concerné va recevoir une sorte d’avertissement de la Commission, avec des recommandations, pour l’encourager à retrouver une trajectoire le faisant repasser sous les barres de 60% du PIB pour la dette publique et 3% du PIB pour le déficit public, dans un délai de deux ans.

Et la France a « souvent été placée dans cette situation de déficit excessif« , notamment à partir de 2009 et la crise économique, il n’y a « rien de nouveau à cela« , rappelle François Ecalle, président de l’association Fipeco (lien archivé ici), à l’AFP le 6 décembre.

La France est restée dans cette procédure jusqu’à 2018 (lien archivé ici), « mais elle n’y est plus aujourd’hui« , détaille-t-il.

Chaque année, la situation du pays avait été réévaluée par la Commission, qui, estimant que les mesures prises allaient dans le bon sens mais ne permettaient pas un retour immédiat sous les niveaux de référence du PSC, avait conservé sa mise en garde sans pour autant sanctionner le pays.

Le cas de la France n’est par ailleurs pas isolé : en 2008, de nombreux pays européens avaient été placés en « situation de déficit excessif« , et la « très grande majorité » des pays de l’UE l’ont été au moins une fois au cours de leur histoire, ajoute Jérôme Creel, qui relève aussi que placer un pays dans une situation de déficit excessif a aussi une valeur « symbolique«  de « désaveu » de sa politique budgétaire. C’est aussi un mauvais signal pour les marchés financiers.

« Placer un pays dans la situation de déficit excessif l’encourage à prendre des mesures pour revenir sous les niveaux de référence. En 2008-2009, lorsque beaucoup de pays sont entrés dans cette procédure, beaucoup ont pris des mesures, et ils en sont sortis d’ici 2018« , illustre François Ecalle.

Les avis généraux sur la situation macroéconomique

Outre les avis spécifiques liés aux budgets annuels, la Commission européenne émet des recommandations sur la situation macroéconomique générale (lien archivé ici) des pays membres, et sur leurs « déséquilibres« .

Les pays dont la Commission estime qu’ils ont des « déséquilibres importants sont soumis l’année suivante à un examen approfondi« , expliquent Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak.

« Parmi les points surveillés par la Commission, il y a la compétitivité et la dette. La Commission a alerté la France sur des niveaux de dette publique élevée ainsi que sur une faible compétitivité dans un contexte de faible croissance de la productivité« , précise un haut fonctionnaire de la Commission européenne.

Mais « la France n’est pas la seule : la Commission considère actuellement que onze Etats membres présentent des déséquilibres excessifs, parmi lesquels l’Allemagne, l’Espagne, la Suède ou la Hongrie« , ajoute-t-il.

Dans le cas de l’Allemagne, la Commission lui reproche par exemple « ses trop grands excédents commerciaux, ce qui peut poser un problème par rapport à d’autres pays de la zone euro« , illustre Raul Sampognaro.

Mais là encore, si « des sanctions sont bien théoriquement prévues dans les textes« , « il n’y a jamais eu de procédure de sanction pour déséquilibre macroéconomique » lancée par la Commission, explique Raul Sampognaro, car « on suit beaucoup d’indicateurs différents. Or, aucun pays n’est hors des clous pour tous ces indicateurs« , abonde-t-il.

La France « pas du tout » dans la situation de la Grèce en 2009

Les vidéos sur TikTok prétendent aussi que la France est dans « la même situation » que « la Grèce« , et qu’elle ne « représente plus rien dans l’économie de l’Union européenne« . Mais ces affirmations sont également trompeuses, selon les économistes interrogés par l’AFP.

« Dans le cas de la Grèce, on avait dû inventer des choses un peu nouvelles en 2009 » car on se trouvait dans une situation très particulière pour laquelle les « règles existantes n’étaient pas calibrées« , développe Raul Sampognaro.

Le pays, qui faisait face à une crise (lien archivé ici) sans précédent dans la zone euro, après des révélations sur des dissimulations de sa dette publique, qui avait très largement dépassé les « seuils d’alerte » du PSC.

Elle avait ainsi été placé « sous programmes« , grâce auxquels elle avait ainsi pu obtenir des fonds d’aide, en échange de la mise en place de politiques d’austérité, le tout en faisant l’objet d’un suivi plus poussé de la Commission, rappelle Raul Sampognaro.

Chronologie de la crise financière grecque. ( AFP / Gillian HANDYSIDE, Kun TIAN)

Mais ni la dette publique ni le déficit public de la France ne sont en décembre 2023 « dans une telle situation » que celle de la Grèce en 2009, explique l’économiste.

« Il est possible que l’an prochain, la France soit placée en situation de déficit excessif, mais cela ne veut pas du tout dire que la France est aujourd’hui dans la situation de la Grèce« , ajoute Jerôme Creel.

Par ailleurs, les deux économistes rappellent que « la France est la deuxième plus grande économie de l’UE en terme de création de richesses, de PIB« , ce qui fait du pays un acteur toujours central au sein de l’institution.

Le 2 décembre, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire s’était dit « déterminé » à réduire encore le déficit public et à « accélérer le désendettement » de la France, après la décision de l’agence de notation S&P Global Ratings de ne pas dégrader la note de la dette française.

L’influente agence de notation avait décidé de continuer à attribuer à la dette de la France la note AA, toujours assortie d’une perspective négative, car elle anticipe « une diminution de la dette publique en pourcentage du PIB à partir de 2025, quoique très progressivement« .

Claire-Line NASS

Tous ses articles

AFP France

Tous ses articles

Inflation

Facebook Twitter Email

Vous avez un doute sur l’authenticité d’une info, d’une citation ou d’une image ?

Contactez-nous sur WhatsApp ! WhatsApp

Suivez-nous

Factuel

Copyright © AFP 2017-2023. Tous droits réservés. Les visiteurs peuvent accéder à ce site, le consulter et utiliser les fonctionnalités de partage proposées pour un usage personnel. Sous cette seule réserve, toute reproduction, communication au public, distribution de tout ou partie du contenu de ce site, par quelque moyen et à quelque fin que ce soit, sans licence spécifique signée avec l’AFP, est interdite. Les éléments analysés dans le cadre de chaque factuel sont présentés ou font l’objet de liens dans la mesure nécessaire à la bonne compréhension de la vérification de l’information concernée. L’AFP ne détient pas de licence les concernant et décline toute responsabilité à leur égard. AFP et son logo sont des marques déposées.