Depuis 2021, un processus de négociations a été engagé au niveau de l’Union européenne pour faire évoluer les normes de commercialisation des volailles dans l’Union européenne et les mentions sur les modes d’élevage actuellement indiquées sur l’étiquette des volailles – par exemple la dénomination « poulet fermier – élevé en plein air ».
Alors qu’une première version de la nouvelle réglementation européenne a été rendue publique en janvier 2023, plusieurs publications en ligne et personnalités politiques sont montées au créneau, affirmant que ces évolutions allaient provoquer la suppression des normes Label Rouge ou « supprimer les mentions caractérisant le mode d’élevage des volailles« , comme l’affirme un article du site Epoch Times, relais fréquent de théories infondées.
« Le bon poulet, c’est terminé !« , s’est de son côté indigné le journaliste André Bercoff sur Sud Radio le 9 février. « Il n’y aura plus d’étiquetage : vous aurez le choix entre de la volaille industrielle roumaine ou bulgare, sous la mention poulet libre. Et le Label Rouge c’est fini. C’est ça l’Europe. On va être obligés de manger n’importe quoi sans savoir ce qu’on mange« .
Le sujet a aussi fait réagir le président du Rassemblement national (RN) Jordan Bardella : dans une vidéo sur Twitter diffusée le 15 février et partagée près de 3.000 fois, l’eurodéputé a affirmé que l’Union européenne « mena[çait] la filière de qualité des volailles françaises en voulant supprimer les normes qui définissent le Label Rouge« .
Le Label Rouge n’est pas concerné
Le secteur de la volaille en France a bien fait part depuis fin janvier de sa crainte d’une « libéralisation » de l’étiquetage sur les volailles. Dans un communiqué diffusé le 25 janvier, l’Anvol, l’interprofession Volaille de chair en France, avait par exemple alerté sur la menace pesant « sur la production de volailles fermières élevées en plein air et sur la clarté et la véracité de l’information des consommateurs« .
Néanmoins, ces craintes des éleveurs ont été parfois mal interprétées,car le Label Rouge n’est pas en tant que tel menacé par la Commission européenne. Les différentes normes et le cahier des charges concernant les labels français et européens, comme le Label Rouge ou l’Appellation d’origine protégée (AOP) des poulets de Bresse, ne sont pas concernées par ces évolutions envisagées de la réglementation européenne.
« Ces craintes infondées confondent en réalité deux sujets », explique Adina Revol, porte-parole de la Représentation française de la Commission européenne à l’AFP le 17 février. « D’abord, le sujet des labels de qualité (Label Rouge et AOP en l’occurrence, mais aussi IGP par exemple). Il n’est absolument pas question de les supprimer, ni de les vider de leur sens », souligne-t-elle.
« Ensuite, il y a la question de la valorisation des modes d’élevage, et en particulier des mentions qui peuvent figurer sur une volaille vendue sur le marché européen », poursuit-elle.
Pour qu’une volaille bénéficie du label français Label Rouge (créé en 1960), les éleveurs doivent respecter un certain nombre de critères concernant l’alimentation des volailles, mais aussi leur mode d’élevage. Les poulets Label Rouge sont par exemple exclusivement des poulets élevés en plein air (2m² minimum par poulet à l’extérieur) ou en liberté (sans délimitation).
L’ensemble des éleveurs de volaille confirment aussi que le Label Rouge n’est pas concerné. « Nous n’avons jamais parlé de suppression des normes Label Rouge« , a souligné Yann Nédelec, directeur de l’Anvol à l’AFP, le 17 février.
Même son de cloche du côté de Gilles Huttepain, président de la Fédération des industries avicoles (FIA), qui a confirmé que l’Anvol n’avait « jamais dit que la Commission voulait supprimer le Label Rouge » lors d’une conférence de presse des éleveurs avicoles le 22 février.
Un étiquetage « libéralisé » dans la première version du futur règlement ?
Néanmoins, les éleveurs de volailles Label Rouge ont bien alerté sur une menace « à terme » de leurs élevages contre ce qu’ils qualifient de « concurrence déloyale« .
Depuis fin janvier, ces derniers craignent que la future règlementation actuellement en discussion ne touche au règlement en vigueur sur les critères additionnels que les éleveurs peuvent ajouter sur les étiquettes pour désigner les modes d’élevage.
En effet, en plus des labels (« Label Rouge », AOP…) déjà existants, la réglementation européenne fixe depuis 2008 une liste de cinq dénominations sur le mode d’élevage ( alimentation, élevage en extérieur… voir ci-dessous), fondées chacune sur un cahier des charges précis.
Un éleveur peut ainsi indiquer s’il le souhaite comment ces volailles ont été élevées, en respectant cette nomenclature précise sur l’étiquette.
Des éleveurs de poulets en intérieur peuvent par exemple préciser si leurs volailles ont été élevées dans un « système extensif« . De leur côté, les éleveurs de poulet Label Rouge peuvent mentionner explicitement le fait que leurs poulets ont été « élevés en plein air » ou « en liberté« .
Ces critères, qui sont facultatifs, sont aussi exclusifs : aucune autre « expression » sur le mode d’élevage ne peut être utilisée sur les étiquettes des volailles vendues sur le territoire européen.
Mais fin janvier, les éleveurs ont accusé le futur règlement de supprimer de fait le caractère exclusif de cette nomenclature. Ce qui selon eux permettrait à des éleveurs d’ajouter d’autres dénominations d’élevage -moins strictes-, contribuant à perdre le consommateur. L’Anvol a donné comme exemples possibles des termes possibles comme « Poulets des champs », « Poulets de plein vent », « Poulets à l’air libre ».
Selon les éleveurs français, cela aurait pour résultat de permettre par exemple à des éleveurs allemands ou néerlandais d’afficher des dénominations vues comme plus valorisantes pour leurs productions élevées en intérieur, comme l’a notamment déclaré Bernard Tauzia, président du Syndicat national des Labels avicoles de France (Synalaf) lors d’une conférence de presse sur le sujet le 22 février.
Cela porterait « atteinte à la bonne information des consommateurs et au développement des productions alternatives » de volailles, selon le Synalaf.
L’Anvol, qui représente notamment les éleveurs de poulets Label Rouge, avait dénoncé la volonté de la Commission de « supprimer les normes permettant aux consommateurs d’identifier clairement les modes d’élevage des volailles grâce aux cinq seules mentions jusqu’à présent autorisées« , mais aussi d’ouvrir la porte à une « forêt d’appellations » qui pourrait perdre le consommateur, comme l’a déclaré Gilles Huttepain au cours de la conférence de presse des éleveurs du 22 février.
« Dérégulation » des étiquetages ou « valorisation d’autres caractéristiques liées au bien-être animal » ?
La première version du nouveau règlement datant de janvier 2023 semblait en effet moins stricte que la réglementation actuelle : alors que l’article 11 de la règlementation de 2008 rendait en effet exclusive les cinq dénominations, indiquant clairement qu' »aucune expression autre » ne devait apparaître sur l’étiquetage (ci-dessous à gauche), cette notion d’exclusivité n’apparaissait plus dans l’article 10 de la première version du règlement (en anglais, ci-dessous à droite).
L’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao), en charge des labels et appellations en France, avait aussi indiqué à l’AFP le 16 février que ces évolutions pourraient avoir pour effet d' »assoupli[r] le système d’étiquetage en permettant d’utiliser d’autres termes que les mentions réservées facultatives, ce qui pourrait poser question vis-à-vis du nombre de mentions limitées utilisées en Label Rouge actuellement », tout en précisant que les discussions étaient encore en cours.
Interrogé sur le sujet au Sénat, le ministre de l’agriculture Marc Fesneau avait fait part de ses réserves sur la règlementation présentée en janvier : « Le premier risque est un risque de tromperie des consommateurs. Autre risque : que les filières de plein air et le Label rouge ne soient plus aussi bien valorisés ».
Contacté par l’AFP, le ministère a confirmé le 24 février que cette « dérégulation de l’usage des mentions valorisantes pour l’étiquetage de la viande de volaille jusqu’alors limitées à une liste fermée de 5 mentions valorisantes aurait permis la coexistence sur le marché européen de mentions valorisantes définies au niveau européen avec des mentions non encadrées par des règles européennes mais utilisant des termes ou des notions voisines à celles qui sont encadrées au niveau européen« , pointant aussi un risque de « concurrence déloyale » face à d’autres volailles issus d’autres pays avec des modes d’élevages souvent considérés comme moins vertueux par le consommateur.
La Commission européenne avait tout de même souhaité répondre à ces inquiétudes dans un article publié le 14 février sur le site de sa Représentation française. L’institution avait expliqué que « les discussions avec les représentants des États membres portent sur le fait de permettre d’autres expressions en plus des cinq existantes depuis 2008, en permettant aux producteurs de valoriser d’autres caractéristiques liées au mode d’élevage de la volaille, notamment liées au bien-être animal, et en informant de manière transparente le consommateur sur le contenu des indications« .
« D’autres appellations supplémentaires pourraient donc valoir la peine d’être autorisées et c’est ce qui fait l’objet de la réflexion dans la même logique d’informer les consommateurs de manière fiable et de protéger les producteurs qui s’engagent dans cette voie« , a aussi expliqué Adina Revol à l’AFP le 16 février. « Tromper les consommateurs avec des termes ambigus ou confus continuera d’être absolument interdit« .
La Commission avait par ailleurs répondu aux éleveurs que si de nouvelles mentions « venaient à être proposées par les producteurs, elles devraient être accompagnées d’un cahier des charges précis« , et seraient soumises à des contrôles réguliers.
Une nouvelle version du texte publiée le 22 février qui « satisfait » les éleveurs
L’opposition des éleveurs et du ministère de l’Agriculture semble en tout cas avoir fait bouger les lignes, car la nouvelle version du futur règlement, publiée le 22 février, mentionne de nouveau la notion d’exclusivité des dénominations, mais uniquement sur la notion d’élevage en extérieur.
Le nouveau règlement dispose en effet que les « seuls termes pouvant être utilisés pour désigner les produits issus d’animaux élevés en plein air » sont les dénominations » « sortant à l’extérieur », « fermier – élevé en plein air » et « fermier – élevé en liberté », à savoir en grande partie les mêmes que celles utilisées par le Label Rouge français.
Ces modifications semblent désormais contenter les éleveurs Label Rouge. Lors d’une conférence de presse de l’Anvol tenue le 22 février, tous ont salué ce « compromis« . Recontacté par l’AFP le 24 février, le directeur de l’Anvol Yann Nédelec s’est dit « satisfait de la proposition de la Commission qui sanctuarisait les mentions valorisantes des poulets en plein air ou sortant à l’extérieur ».
Comme les éleveurs, le ministère se veut toutefois « prudent » sur un sujet qui est encore en cours de discussions, même s’il se satisfait auprès de l’AFP d’un compromis qui « protège et maintient l’exclusivité de l’utilisation des mentions ‘plein air' ». « Ce projet de texte doit encore passer plusieurs étapes avant sa publication dans quelques semaines ».
15% de la production française de volaille étiquetés Label Rouge
La part des élevages de poulets élevés en plein air et en liberté en France est l’une des plus importantes d’Europe, avec 19% des poulets élevés ayant accès à l’extérieur, contre 1% en Allemagne ou aux Pays-Bas.
En 2021, 17% de la production française de volaille possédait les mentions de « poulet fermier » sur leur étiquette, via les Label Rouge (15%) et bio (2%). D’où une mobilisation propre à la France, alors que l’Anvol considérait dans son communiqué que les éleveurs français étaient les « plus concernés par l’évolution de l’étiquetage« .
Nathan GALLO
AFP France
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