Selon les statistiques irlandaises officielles publiées le 13 juin 2023. Environ 78% d’entre eux sont des femmes et des enfants, mais les 22% restants, soit plus de 17.000, sont des hommes.
« Ils ont commencé à envoyer des avis d’extradition [procédure permettant à un État de se faire livrer un individu poursuivi ou condamné et qui se trouve sur le territoire d’un autre État, ndlr] aux Ukrainiens« , avancent plusieurs publications diffusées sur Twitter (lien archivé ici) et Facebook (liens archivés ici, ici et ici) depuis le 10 septembre 2023, document à l’appui.
Dans cette lettre en date du 7 septembre, adressée à un certain « Mr Ihor Doroshenko » et à l’en-tête du ministère de la Justice irlandais, il est énoncé en anglais : « Nous vous écrivons pour vous informer que le ministère de la Justice a reçu une demande du gouvernement ukrainien pour votre extradition.«
Des messages similaires circulent sur les réseaux sociaux dans de nombreuses langues comme l’anglais (lien archivé ici), le polonais (lien archivé ici) ou encore le tchèque (lien archivé ici). La plupart des comptes qui les partagent sont ouvertement prorusses.
L’armée ukrainienne mène depuis début juin une lente contre-offensive destinée à repousser les forces russes dans l’est et le sud mais elle fait face à de puissantes lignes défensives faites de tranchées, de champs de mines et de pièges antichars, résumait l’AFP dans cette dépêche du 14 septembre (archivée ici).
Au début de l’invasion russe, l’armée ukrainienne a bénéficié de l’afflux de volontaires souhaitant combattre mais au 18ème mois de la guerre, les pertes ont obligé à recourir davantage à la conscription, selon les médias ukrainiens, comme rapporté par l’AFP dans cette dépêche du 3 août.
Dans ce contexte, les autorités ukrainiennes ont fait passer depuis cet été des messages de fermeté à l’égard des hommes cherchant à échapper à l’enrôlement. Début août, les autorités anticorruption ukrainiennes ont annoncé l’arrestation à Kiev d’un responsable des forces armées accusé d’avoir aidé des hommes à y échapper.
Pour autant, le document que nous examinons, censé montrer que le pays a envoyé des courrier d’extradition à des ressortissants en Irlande, un pays de l’UE, est un faux.
Contacté par l’AFP, le ministère de la Justice irlandais a démenti avoir envoyé cette lettre, dénonçant un acte « frauduleux« . Par ailleurs, le document diffusé en ligne n’est pas cohérent avec le droit local (irlandais) ni avec le droit européen en matière d’extradition, ont détaillé deux spécialistes en droit européen auprès de l’AFP.
Un document falsifié
L’AFP n’a pas été en mesure de vérifier si ce faux, dont la photo circule sur les réseaux sociaux, a effectivement été transmis à des ressortissants ukrainiens en Irlande.
Quoi qu’il en soit, il n’émane pas du ministère de la Justice irlandais. Son service de presse a confirmé à l’AFP, le 13 septembre, que « la lettre en question n’a pas été envoyée par le ministère de la Justice.«
« Si quelqu’un a des doutes sur l’authenticité d’un courrier censé provenir du ministère de la Justice, il peut contacter le ministère au : 1800221227« , ont ajouté les autorités concernées dans un communiqué (lien archivé ici), rédigé à destination des résidents du territoire irlandais.
« Les escroqueries de ce type sont courantes. Elles peuvent survenir à tout moment. Les plus courantes impliquent l’utilisation de faux courriels, appels ou textes prétendant provenir d’entreprises et d’organisations bien réelles. Nous invitons tout individu à être extrêmement prudent et à ne pas communiquer d’informations personnelles« , peut-on également lire dans ce document officiel.
Les infractions militaires exclues de la convention sur l’extradition
En outre, plusieurs incohérences de fond ôtent la crédibilité juridique à la lettre relayée sur les réseaux sociaux, ont expliqué à l’AFP deux spécialistes en droit européen.
D’après ce courrier, les ressortissants ukrainiens en Irlande pourraient faire l’objet d’une demande d’extradition pour « refus de s’être soumis à l’obligation légale de s’enrôler dans les forces armées« . Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, le président ukrainien a annoncé par décret la mobilisation générale (lien archivé ici) des hommes de 27 à 60 ans – ceux en-dessous de 27 ans étant mobilisables à partir de 18 ans seulement s’ils ont fait leur service militaire.
Pour appuyer cet argument, la lettre fait référence à deux textes de loi : la loi irlandaise sur l’extradition de 1965 (lien archivé ici) et la convention européenne sur l’extradition de 1957 (lien archivé ici).
Ces deux documents juridiques existent bel et bien et sont des cadres de référence sur les questions d’extradition. Le premier, au regard du droit irlandais, et le second à l’échelle des pays membres du Conseil de l’Europe (lien archivé ici), organisation qui compte 46 Etats dont les 27 membres de l’Union européenne. Le Conseil de l’Europe est une institution distincte de l’UE. Sa mission est de « Promouvoir la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit dans toute l’Europe et au-delà ».
Cependant, ces textes « ne prévoient pas de demande d’extradition pour des motifs de type ‘désertion’ ou ‘refus de faire un service militaire obligatoire' », a expliqué à l’AFP Araceli Turmo (lien archivé ici), maîtresse de conférences spécialisée en droit européen à Nantes Université, le 13 septembre.
« La convention européenne sur l’extradition de 1957 ne permet pas d’extrader des personnes pour des infractions d’ordre purement militaire. Vous ne pouvez pas demander l’extradition de quelqu’un sur ce fondement si sa seule infraction était à une règle liée à une obligation militaire« , détaille l’experte.
« Si un militaire a commis un meurtre et qu’on demande son extradition, le fait qu’il soit militaire ne le protège pas. En revanche, s’il a commis une infraction qui n’existe qu’en droit militaire, cette convention ne peut pas être utilisée pour formuler une demande d’extradition« , ajoute-t-elle.
« La Convention européenne sur l’extradition stipule à son article 4 que des extraditions pour des infractions militaires sont exclues de son champ d’application« , abonde Carolyn Moser (lien archivé ici), professeure invitée à Sciences Po en droit européen contactée par l’AFP le 14 septembre :
« Si l’Ukraine voulait effectivement qu’un pays du Conseil de l’Europe lui renvoie ses ressortissants, elle devrait baser sa demande sur une infraction pénale« , complète l’experte.
Il en va de même pour ce qui concerne le droit irlandais. En effet, l’article 4 de la loi sur l’extradition de 1965 (lien archivé ici) stipule lui aussi que « l’extradition ne sera pas accordée pour des infractions au droit militaire qui ne constituent pas des infractions au droit pénal ordinaire.«
En dehors de ce cadre légal, un accord bilatéral pourrait-il prévoir l’extradition de ressortissants ukrainiens vers l’Ukraine ? Pas vraiment, répond Carolyn Moser, qui pointe : « S’il y a une convention cadre, vous ne pouvez pas conclure de convention bilatérale qui prévoit le contraire. Sinon, vous aurez deux conventions qui se contredisent mutuellement. »
Une extradition sur motif d’infraction pénale ?
Pour autant, la question de l’extradition a été évoquée par les autorités: Davyd Arakhamia (chef du groupe parlementaire du parti du président Volodymyr Zelensky) a affirmé (lien archivé ici) que les Ukrainiens soumis au service militaire qui ont quitté l’Ukraine avec de faux certificats d’inaptitude pourraient être extradés vers leur pays d’origine.
« L’Ukraine songe apparemment à demander à d’autres pays d’extrader des hommes encore en âge d’intégrer ses forces armées », note Carolyn Moser, « mais sur bases d’infractions pénales« , précise-t-elle, et non pas, comme on le lit dans la fausse lettre, parce que l’intéressé doit respecter la conscription.
« Juste après l’agression russe en février 2022, l’Ukraine a interdit aux hommes de 18 à 60 ans de quitter le pays. Il y a un grand nombre d’hommes de cette tranche d’âge qui sont partis malgré cette prohibition en droit martiale. Mais pour traverser la frontière, il fallait prouver qu’ils étaient exclus de cette prohibition, voire du service militaire. Alors, certaines personnes ont pu montrer des documents ou certificats falsifiés. Si jamais l’Ukraine voulait formuler une demande d’extradition, c’est sur cela qu’elle se baserait, c’est-à-dire un délit de corruption ou de falsification de documents, facilitant la sortie (illégale) du territoire ukrainien« , complète-t-elle.
Mais même si l’Ukraine se lançait, elle « devrait rassembler un nombre de preuves suffisantes pour démontrer que la personne recherchée a commis une infraction ou même un crime. Par exemple, elle devrait montrer que la personne a payé un pot-de-vin à un douanier ou qu’elle a corrompu un médecin pour délivrer un certificat falsifié, etc. Cette infraction devrait aussi être passible d’une peine en Irlande : la réciprocité est généralement une condition sine qua non pour une extradition« , explique Carolyn Moser.
« L’Ukraine devrait ensuite faire une demande officielle pour chaque individu recherché, appuyée par un dossier de preuves. Les autorités irlandaises pourraient alors commencer à agir« , ajoute-t-elle.
« En aucun cas, dans la convention européenne sur l’extradition, on n’autorise des extraditions collectives. Il faut que ce soit une personne visée pour un acte qu’elle aurait commis. On ne peut pas demander l’extradition de tout un groupe« , nuance également Araceli Turmo.
La question d’extrader ou non des hommes ukrainiens en âge d’accomplir le service militaire « revêt aussi d’une importante dimension politique« , observe Carolyn Moser. « Des tribunaux doivent s’en saisir mais la décision finale d’extrader ou pas est prise par le ministère de la Justice qui, pour des raisons politiques, peut ne pas donner son aval. Par contre, cela aura des implications diplomatiques. »
18 septembre 2023 Ote allusion à l'Autriche
Emilie BERAUD
AFP France
Vous avez un doute sur l’authenticité d’une info, d’une citation ou d’une image ?
Contactez-nous sur WhatsApp ! WhatsApp
- Accueil
- A propos
- Comment nous travaillons
- Règles éditoriales et éthiques
- Notre équipe
- Manuel du fact-checking
- Formations
- Objectif Desinfox
- Contact
- Corrections
- Abonnement pour les pros
Copyright © AFP 2017-2023. Tous droits réservés. Les visiteurs peuvent accéder à ce site, le consulter et utiliser les fonctionnalités de partage proposées pour un usage personnel. Sous cette seule réserve, toute reproduction, communication au public, distribution de tout ou partie du contenu de ce site, par quelque moyen et à quelque fin que ce soit, sans licence spécifique signée avec l’AFP, est interdite. Les éléments analysés dans le cadre de chaque factuel sont présentés ou font l’objet de liens dans la mesure nécessaire à la bonne compréhension de la vérification de l’information concernée. L’AFP ne détient pas de licence les concernant et décline toute responsabilité à leur égard. AFP et son logo sont des marques déposées.