S’adressant aux médias devant un fond bleu siglé « Parlement européen », le député européen néerlandais Marcel de Graaff (archive) annonce avoir écrit à l’EMA, l’agence européenne des médicaments, pour lui demander « de retirer l’autorisation de mise sur le marché des vaccins Covid« .

« Ce mois-ci, nous avons reçu une réponse de l’EMA à notre lettre et cette réponse contient des faits choquants« , affirme l’élu. Marcel de Graaff est membre du Forum pour la démocratie, un parti eurosceptique et conservateur néerlandais, et faisait partie du groupe d’extrême droite Identité et démocratie au Parlement européen jusque fin 2022. Il a quitté ce groupe qu’il accusait d’être « anti-Russie » est aujourd’hui sans groupe parlementaire.

Lors de sa conférence de presse sur l’EMA et les vaccins, diffusée le 21 novembre, il poursuit: « l’EMA déclare explicitement qu’elle a uniquement et exclusivement autorisé les ‘vaccins corona’ sur le marché pour l’immunisation individuelle et absolument pas pour le contrôle de l’infection (…) et c’est dévastateur pour les gouvernements qui se sont lancés à fond dans la campagne de vaccination en faisant passer le message que vous le faisiez pour les autres ».

Il ajoute que selon la lettre de l’EMA, « à quelques exceptions près, personne de moins de 60 ans n’aurait dû être vacciné« .

D’autres intervenants de la conférence de presse évoquent eux « des lots de vaccins dangereux » et des effets indésirables mal répertoriés.

La vidéo de cette conférence de presse a totalisé plus de 100.000 vues sur YouTube au 28 novembre, et a été partagée sur de nombreux réseaux sociaux, par des internautes néerlandaisallemandsbulgares notamment. Elle a aussi été beaucoup circulé sur les réseaux sociaux en français, notamment en Belgique.

En France, la vidéo a surtout été virale sur X, où Silvano Trotta, fréquent relais des fausses informations sur le Covid, commente: « L’Agence européenne des médicaments a ainsi confirmé que la ‘vaccination obligatoire’ contre le Covid-19 était une utilisation illégale hors AMM [autorisation de mise sur le marché, NDLR] ». Son message, accompagné d’une photo de la lettre de l’EMA, est partagé plus de 900 fois.

Capture d’écran de X faite le 29 novembre 2023

Un autre internaute, dont le message du 23 novembre a été partagé 300 fois sur X, écrit: « Personne de moins de 60 ans n’aurait dû être vacciné… Vaccin : les langues se délient, ça va faire mal !!! L’ Agence européenne du médicament vient de lâcher tout le monde« .

Une autre vidéo semblable dans son contenu sur le même sujet circule beaucoup: il s’agit d’une interview de Marcel de Graaf au site « The Epoch Times », relais régulier de désinformation. De nombreuses allégations partagées ce média – en anglais ou en français – ont déjà fait l’objet d’articles de vérification par l’AFP, notamment sur la vaccination contre le Covid-19 (123).

Une vraie conférence de presse, et une vraie lettre de l’EMA

Contacté par l’AFP le 28 novembre, le Parlement européen a confirmé la tenue d’une conférence de presse une semaine plus tôt, dans une salle de presse du parlement à Strasbourg, intitulée: « Marcel de Graaff et Joachim Kuhs [un autre député européen, NDLR] sur des révélations choquantes à propos des vaccins Covid« .

« Tout député a le droit d’utiliser les salles de presse pour n’importe quel sujet », a expliqué le Parlement, « mais seules les conférences de presse tenues par des députés occupant des postes officiels de rapporteurs, ou de chef de groupe, sont diffusées en direct ou enregistrées et diffusées sur le site web du Parlement« , ce qui n’était pas le cas de cet événement (archive).

La lettre à laquelle Marcel de Graaff fait allusion dans son intervention est publique et visible dans son intégralité sur le site de l’EMA (archive):

Capture d’écran du site de l’EMA faite le 29 novembre 2023

Parmi les destinataires du courrier, en date du 18 octobre, on trouve deux élus européens français connus pour leurs positions anti-vaccins et régulièrement auteurs d’infox: Gilbert Collard et Virginie Joron.

La lecture de cette lettre, mais aussi des documents officiels de l’EMA, permettent de voir que les affirmations de Marcel de Graaff sont inexactes.

L’efficacité du vaccin sur la transmission du virus, un sujet récurrent de désinformation

Dans sa lettre aux députés, l’EMA écrit: « vous avez raison de souligner que les vaccins Covid n’ont pas été autorisés pour la prévention de la transmission (ndlr, du virus) d’une personne à une autre. La seule indication est celle de la protection des personnes vaccinées« .

L’agence européenne rappelle aussi qu’elle a relevé dans ses avis d’autorisation des vaccins « le manque de données sur la transmission » dans les premières études cliniques de 2020.

Ceci n’est pas une révélation, comme l’AFP l’a déjà rappelé dans cet article, dès décembre 2020, l’Agence américaine des médicaments (FDA), dans un rapport détaillé (archive) sur les résultats du vaccin, indique clairement que « les données attestant de l’efficacité du vaccin contre la transmission du SARS-CoV-2 par des individus infectés par le virus, bien que vaccinés, sont limitées ». Le même rapport avançait néanmoins que « la haute efficacité démontrée contre le Covid-19 symptomatique pourrait bien se traduire par une prévention globale de la transmission dans les populations ayant atteint un assez haut seuil de vaccination ».

Interrogée par l’AFP le 29 novembre, l’EMA assure avoir « clarifié très tôt qu’avant toute autorisation de mise sur le marché d’un vaccin, son impact sur la transmission virale ne serait pas connue. Ca a été expliqué par nos experts (archive) publiquement dès le 11 décembre 2020, puis lors d’une conférence de presse (archive) consacrée au Comirnaty [le vaccin de Pfizer, NDLR] le 21 décembre 2020″.

Sur son site internet (archive), dans la section « questions/réponses », l’EMA a ajouté après la conférence de presse du 21 novembre de Marcel De Graaff une question intitulée « les vaccins Covid protègent-t-ils contre la transmission du virus Sars-CoV2?« .

Capture d’écran du site de l’EMA, faite le 29 novembre 2023, nouvelle question entourée par l’AFP

« Nous avons publié cette information sur notre page web consacrée aux FAQ ces derniers jours car, bien que l’on ait clarifié ce point à de nombreuses reprises ces trois dernières années, nous avons vu que les malentendus et la désinformation persistaient« , a indiqué l’EMA à l’AFP.

En réponse à cette question, l’EMA explique qu’au début de l’épidémie « les autorités ont demandé aux laboratoires de prioriser les études sur l’efficacité des vaccins sur les formes sévères de la maladie et la mort. Elles ne leur ont pas demandé d’analyser les effets des vaccins sur la transmission dans le cadre de leur demande d’autorisation de mise sur le marché« .

L’agence ajoute qu' »il est difficile de mesurer combien les vaccins peuvent réduire la transmission du virus dans des études cliniques. Cela peut seulement être fait dans des études en vie réelle, qui incluent un grand nombre de personnes vaccinées » et précise que des études menées après l’autorisation des vaccins et leur mise sur le marché « ont montré que les vaccins pouvaient réduire la transmission« .

Le manque de données initiales sur l’efficacité du vaccin sur la transmission du virus n’empêchait en rien son efficacité sur les formes graves de la maladie, et l’EMA ne dit à aucun moment dans sa lettre qu’il était « illégal » de rendre la vaccination obligatoire ou de vacciner massivement.

Elle précise même dans sa lettre que si son comité scientifique émet des recommandations, ce sont d’autres autorités comme la Commission européenne et les gouvernements nationaux qui ont la charge d’émettre des politiques publiques de vaccination pour protéger la population.

Depuis le début de la vaccination Covid, l’AFP Factuel a démystifié de nombreuses fausses affirmations autour de cette question de l’efficacité de la vaccination sur la transmission du virus: comme ici, de la part d’un ministre qui affirmait qu’une personne vaccinée ne pouvait transmettre le Covid, ou , de la part de personnes qui assuraient que c’était la première fois qu’un vaccin ne faisait pas barrière à la transmission d’un virus.

Des personnes venues se faire vacciner contre le Covid dans un gymnase à Tunis en 2021 ( AFP / FETHI BELAID)

Les moins de 60 ans, pas exempts de risques avec le Covid

Autre fausse allégation de Marcel de Graaff: le député déduit aussi de la réponse de l’EMA sur l’absence de mention de la transmission dans l’AMM du vaccin que « à quelques exceptions près, personne de moins de 60 ans n’aurait dû être vacciné » puisque selon lui « presque personne en-dessous de 60 ans n’avait de risque de développer une forme grave de la maladie« .

Comme l’AFP l’a déjà montré dans le passé, même si leur risque de mortalité du Covid est bien moins forte que chez les plus âgés, les moins de 60 ans peuvent aussi être victimes de formes sévères, voire mortelles.

Selon l’Ined (archive), qui a répertorié les décès liés au Covid du 1er septembre 2020 au 1er août 2021, lors des premiers 18 mois de Covid, en Italie, Espagne et Allemagne, 5% des morts avaient moins de 59 ans.

En France, 95 % des personnes mortes du Covid à l’hôpital avaient au moins 60 ans et 98 % plus de 50 ans, d’après Santé publique France.

Et comme l’explique cet article du Parisien (archive) en février 2022, la mortalité n’est pas le seul critère à prendre en compte, les moins de 60 ans n’étant pas à l’abri de souffrir de formes sérieuses du Covid. En janvier 2022, détaille le journal, « on recensait chaque jour plus de 1.100 admissions à l’hôpital de patients Covid âgés de 20 à 39 ans et non vaccinés ».

Les effets indésirables pris en compte quel que soit le moment de leur apparition

Un autre intervenant de la conférence de presse organisé par Marcel de Graaff le 21 novembre, l’eurodéputé Joachim Kuhs (archive), a lui mis en cause la sécurité des vaccins Covid. « L’EMA a écrit dans la lettre qu’elle nous a adressés qu’elle attendait, je cite, des rapports sur les maladies apparues lors de la vaccination ou juste après (…) cela implique que les données sur les effets secondaires ou indésirables survenant dans les 14 jours suivant la vaccination sont d’une importance cruciale pour estimer les risques liés aux vaccins« , a développé l’élu allemand d’extrême-droite.

« Pourtant, se désole-t-il, les autorités des Etats membres ont adopté une politique disant que comme il faudrait 10 à 14 jours pour que le vaccin produise des protéines ‘spike’, donc des effets secondaires survenant pendant ces 14 premiers jours n’ont pas été enregistrés comme liés au vaccin ».

Mais selon l’EMA, les données mentionnant des effets indésirables survenant dans les 14 jours après la vaccination « ne sont pas exclus de la surveillance de sécurité« . « En termes de surveillance de la sécurité des vaccins, l’EMA et les Etats membres de l’UE ont pris en compte tous les effets indésirables suivant la vaccination Covid, indépendamment de combien de temps a passé entre l’injection et l’effet secondaire« .

Pas de « mauvais lots » de vaccins

Enfin, Vibeke Manniche, une médecin danoise déjà auteure de fausses affirmations sur le Covid (en anglais, archive), a pris la parole pour évoquer des « mauvais lots » de vaccins, « des lots appelés ‘lots bleus’ qui ont donné plus d’effets secondaires que d’autres lots« . Elle assure que son étude (archive) sur le sujet a montré que « l’EMA et les institutions nationales n’ont pas informé le public » de ces problèmes de sécurité.

Dans cet article (archive) d’un journal danois spécialisé, des experts pointent plusieurs erreurs dans les méthodes statistiques de l’étude et dans les données sur lesquelles elle se base.

Par exemple, dans l’étude, les lots présentés comme ayant donné lieu au plus grand nombre d’effets indésirables étaient en fait les premiers lots de vaccins Covid jamais commercialisés au Danemark. Comme dans les autres pays à l’époque, les premiers vaccins ont été administrés aux personnes les plus fragiles face au Covid, qu’il fallait protéger en priorité, des personnes âgées ou malades. Mais ce public est aussi celui qui est le plus susceptible de rapporter des soucis médicaux après la vaccination -du fait des antécédents ou de l’âge- sans qu’ils soient d’ailleurs forcément liés aux injections.

En effet, si ces événements surviennent après une vaccination, ils sont automatiquement enregistrés par les autorités sanitaires, sans que cela signifie qu’ils ont été causés par le vaccin.

Quant aux accusations d’inaction de l’EMA, cette dernière a répondu: « l’EMA et les Etats membres surveillent en permanence la base de pharmacovigilance européenne, EudraVigilance. L’EMA n’a vu aucune preuve suggérant que des lots de Cominarty auraient provoqué plus d’effets indésirables ou des effets plus graves que d’autres lots du vaccin« .

L’agence européenne ajoute que les laboratoires officiels de contrôle des médicaments dans les Etats membres vérifient la qualité de chaque lot de vaccins Covid avant qu’ils ne soient commercialisés.

Le Parlement européen est régulièrement le théâtre de prises de parole contre les vaccins, que ce soit à travers des auditions, des conférences de presse.

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