Le 28 mai, le Parlement géorgien a voté l’adoption d’une loi dite « sur les agents étrangers », malgré les vives critiques de l’opposition, des milliers de manifestants dans les rues géorgiennes et des propos sévères de l’Union européenne.
La présidente pro-occidentale de Géorgie, Salome Zourabichvili, avait précédemment opposé son veto à la loi, mais a été battue par une majorité simple au parlement. Lundi, le projet de loi a été promulgué, et la loi est désormais en vigueur.
Le parti nationaliste au pouvoir, Rêve géorgien, qui détient la majorité au Parlement, s’appuie sur la loi sur la transparence de l’influence étrangère pour renforcer la responsabilité des organisations non gouvernementales recevant de l’étranger plus de 20 pourcents de leur financement. Il justifie cette loi en prétextant qu’elle assure une plus grande transparence dans le financement étranger des organisations non gouvernementales et qu’elle raffermit la souveraineté de la Géorgie.
L’enregistrement en ligne des organisations non gouvernementales commencera dans deux mois et des amendes seront imposées en cas d’infraction. Selon le maire de Tbilissi, Kakha Kaladze, les organisations qui ne s’enregistreront pas verront leurs biens confisqués et seront ensuite dissoutes.
De nombreuses organisations affirment qu’elles refuseront d’obtempérer et porteront l’affaire devant la Cour constitutionnelle et la Cour européenne des Droits de l’homme. La Géorgie a rejoint le Conseil de l’Europe en 1999 et est soumise à la Convention européenne des Droits de l’homme.
L’opposition pro-occidentale critique la loi qu’elle qualifie de « russe », et craint une répression politique similaire à celle du pays voisin.
L’Union européenne a accordé le statut de candidat à la Géorgie fin 2023. À la lumière des récents développements, le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, et la Commission européenne ont déclaré que cette loi représentait pour la Géorgie un recul sur son chemin vers l’UE. Les États-Unis, qui entretiennent des relations de longue date avec la Géorgie, ont également annoncé qu’ils allaient revoir leurs politiques de voyage et leurs relations bilatérales.
Le Premier ministre géorgien, Irakli Kobakhidze, a toutefois déclaré que l’objectif de la Géorgie restait de rejoindre l’Union européenne d’ici 2030. Il a affirmé que les sanctions ou les pénalités n’effrayaient pas le parti au pouvoir, celui-ci agissant dans l’intérêt du peuple et étant élu.
Des milliers de personnes manifestent contre la loi « sur les agents » à la russe
Depuis des semaines, dans l’ancien État soviétique, des dizaines de milliers de personnes se joignent aux manifestations organisées dans la capitale, Tbilissi, pour protester contre la législation. Les critiques accusent le gouvernement géorgien d’avoir calqué ce projet de loi sur une loi russe relative aux « agents » afin d’entraver le travail des associations et des médias indépendants.
En Russie, de nombreuses organisations et personnes individuelles sont qualifiées d’« agents étrangers », une classification qui pose souvent des problèmes majeurs. Cette loi controversée, introduite en 2012, est vue comme stigmatisante et visant à persécuter politiquement les bénéficiaires de paiements en provenance de l’étranger, notamment les militants des Droits de l’homme, les journalistes et les artistes.
En désaccord : le Premier ministre déclare que la loi est bonne pour la « souveraineté », la présidente affirme qu’elle détourne le pays de la voie de l’UE
Le Premier ministre géorgien, Irakli Kobakhidze, a accusé la présidente Salome Zourabichvili de « trahison » pour avoir opposé son véto à la loi.
« L’unité et les mesures raisonnables du peuple et de son gouvernement élu nous ont permis de maintenir la paix dans le pays au cours des deux dernières années malgré les menaces existentielles et les multiples trahisons, y compris celle de la présidente de la Géorgie », a déclaré M. Kobakhidze dans un discours prononcé à l’occasion de la Journée de l’indépendance de la Géorgie (de l’ex-URSS), célébrée le 26 mai.
La présidente a elle aussi trouvé des mots durs envers le Premier ministre, déclarant que « le partenariat et le rapprochement avec l’Europe sont la véritable voie pour préserver et renforcer notre indépendance et notre paix » et ajoutant que « ceux qui sabotent et sapent cette voie piétinent et mettent en péril l’avenir pacifique et sûr de notre pays, entravant le chemin vers un statut de membre à part entière du monde libre et démocratique ».
Après l’échec de son véto, la présidente pro-occidentale et ancienne diplomate française Zourabichvili a refusé de signer la loi. Lundi, le président du Parlement géorgien, Shalva Papuashvili, membre du parti nationaliste Rêve géorgien, l’a signée.
Mme Zourabichvili a appelé les manifestants à concentrer leur énergie sur la collecte de signatures en vue d’un référendum contre la loi. Dans le même temps, elle leur a rappelé qu’un nouveau Parlement serait élu dans la république de la mer Noire le 26 octobre, et que le peuple avait la possibilité de se débarrasser du gouvernement actuel.
Les Géorgiens sont très favorables à l’adhésion à l’UE : selon un sondage national effectué au mois de mars, 89 pourcents des Géorgiens interrogés sont « tout à fait favorables » ou « plutôt favorables » à l’adhésion à l’Union européenne.
Trois pas en arrière sur le chemin de la Géorgie vers l’UE
Les forces proeuropéennes critiquent la loi comme un recul sur le chemin de l’UE : l’Union européenne a annoncé des conséquences suite à l’adoption finale de la loi visant à renforcer le contrôle de la société civile dans le pays candidat. Washington a également déclaré vouloir prendre des mesures, dont des interdictions de visas et un « réexamen complet de toute la coopération entre les États-Unis et la Géorgie ».
« L’UE a souligné à plusieurs reprises que la loi adoptée par le Parlement géorgien allait à l’encontre des valeurs et des principes fondamentaux de l’UE », ont déclaré Josep Borrell, haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, et la Commission européenne dans un communiqué publié le 28 mai.
Plus précisément, la déclaration critique le fait que la nouvelle loi « entraîne un recul » dans au moins trois des neuf domaines importants pour le processus d’adhésion à l’UE. Il s’agit de la lutte contre la polarisation de la société et la désinformation, des progrès en matière de droits fondamentaux, et de l’implication des organisations de la société civile.
Au regard des manifestations contre la loi en Géorgie, M. Borrell et la Commission européenne ont déclaré : « Nous sommes aux côtés du peuple géorgien et prenons acte du choix fait par une écrasante majorité d’entre eux en faveur d’un avenir européen pour leur pays. »
L’UE et les États-Unis financent depuis longtemps et à grande échelle des projets de développement de la société civile en Géorgie. La communication conjointe de valeurs occidentales de liberté et d’autodétermination sexuelle, par exemple, va à l’encontre des forces conservatrices de la société, fortement influencée par l’Église orthodoxe géorgienne.
Pas de loi sur les « agents étrangers » en Bosnie-Herzégovine, mais au Kirghizstan
En Bosnie-Herzégovine, autre candidat à l’adhésion à l’UE, les autorités de la république serbe de Bosnie (RS) ont récemment aboli leur proposition de loi sur les « agents étrangers », qui avait elle aussi suscité des critiques de l’UE. En septembre 2023, la loi avait été adoptée en première lecture par l’assemblée de l’entité RS.
Le président de la république serbe de Bosnie, Milorad Dodik, a déclaré sur son compte X que ce retrait était également dû à l’engagement de la RS sur la voie européenne.
Le territoire à majorité serbe de la république serbe de Bosnie est l’une des deux entités de la Bosnie-Herzégovine. Le dirigeant bosno-serbe Dodik a rencontré le président russe Vladimir Poutine à de nombreuses reprises depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Début 2023, il a remis à M. Poutine la plus haute médaille d’honneur pour son « intérêt patriotique et son amour » de la république serbe de Bosnie.
La Russie a été accusée de soutenir stratégiquement les politiques séparatistes de Dodik afin d’exploiter les divisions entre les trois principaux groupes ethniques du pays.
Une loi sur les « agents étrangers » a été adoptée au Kirghizstan, autre ancienne république soviétique, à la fin du mois de mars.
Cet article fait partie de la rubrique de l’enr « EU Elections Spotlight – Mouvements anti-UE ». Son contenu est basé sur les informations fournies par les agences participant à l’enr.