« Rien d’extraordinaire, c’est juste des sapins de Noël décorés avec des croix gammées en Lettonie« , « Le nazisme, un retour décomplexé en Europe« … Sur Twitter (12), et sur Facebook, des internautes dénoncent, dans des publications partagées des centaines de fois depuis le 30 novembre 2022, une supposée résurgence du nazisme dans l’ancienne république soviétique.

Ils s’appuient, en guise de preuve, sur une vidéo sans commentaire de Ruptly, l’agence vidéo du média russe Russia Today (RT) montrant une volumineuse installation lumineuse en forme de conifère ornée d’une svastika blanche sur fond rouge, ainsi que des décorations murales, à proximité, arborant ce même pictogramme hindou vieux de 5.000 ans dont le régime hitlérien a fait le symbole du nazisme.

Capture d’écran réalisée sur Twitter le 5 décembre 2022.
Capture d’écran réalisée sur Twitter le 5 décembre 2022.

On retrouve également des images similaires dans une publication Facebook à la légende similaire (« En Lettonie, ils créent une ambiance de Nouvel An à saveur nazie. Un arbre de Noël inhabituel est apparu dans la ville de Lielvārde« ) s’appuyant sur un un extrait de journal télévisé de la chaîne russe Rossiya 1 – en date du 30 novembre 2022, comme le montre l’archive disponible sur le site du média (à partir de 11’05).

Capture d’écran réalisée sur Facebook le 5 décembre 2022

Si ces décorations ont bien été inaugurées le 27 novembre 2022 dans la ville lettone de Lielvārde, comme on peut le voir dans la vidéo publiée par le district d’Ogre dont elle dépend (présidée par Egils Helmanis, du parti d’extrême droite Alliance nationale) le motif en question ne fait pas référence au nazisme : il s’agit d’un ugunskrusts (« croix de feu »), un « symbole indo-européen immémorial présent dans le vocabulaire des peuples baltes depuis le néolithique« , comme l’explique à l’AFP Nicolas Auzanneau, traducteur et spécialiste de la culture lettone.

Capture d’écran réalisée sur YouTube le 5 décembre 2022.
Capture d’écran réalisée sur YouTube le 5 décembre 2022.

Un symbole folklorique letton

« Dans la mythologie lettone, la ‘croix de feu’ (svastika) est un symbole solaire lié à Saule (le soleil qui est une divinité féminine), associé au mouvement cyclique du monde, à la santé, à la chance. Elle est omniprésente dans les motifs textiles — notamment les mitaines, les châles, les ceintures, le linge domestique« , poursuit le spécialiste, en soulignant les différentes significations qui lui sont prêtées selon son orientation : « tournée vers la droite : Pērkons (« Tonnerre », « La croix du Tonnerre »), tournée vers la gauche : Laima (« bonne fortune »), avec des ramifications Zars (« branche ») qui symbolise le bonheur, inscrite dans un cercle, avec les pointes effilées Ķeksis (« cochet »).« 

Bien avant la montée du nazisme en Allemagne, l’armée de l’air lettone avait notamment choisi cette croix de feu comme symbole, ainsi que le relate l’encyclopédie nationale lettone sur sa page consacrée à l’ugunskrusts. Elle rappelle en outre qu’une loi adoptée en 2005 interdit toute utilisation, en Lettonie, de la croix gammée lors d’événements publics – ce texte autorisant en revanche l’usage de la croix de feu dans un contexte « folklorique« .

« Lielvārde est célèbre partout en Lettonie pour deux choses : le musée dédié à Andrejs Pumpurs, l’auteur de l’épopée nationale Lāčplēsis, et la « Lielvārdes josta », une ceinture folklorique tissée pouvant aller jusqu’à trois mètres de long, se caractérisant par une extraordinaire complexité de motifs et de symboles entrelacés, dont les différentes formes de « ugunskruts’« , explique Nicolas Auzanneau.

Pour ses décorations de fin d’année 2022, le district d’Ogre a choisi d’installer un sapin stylisé en référence à ce célèbre objet – également visible dans une autre vidéo, partagée sur sa page Facebook -, comme l’explique une page de son site. Une initiative dont plusieurs médias lettons se sont fait l’écho, en soulignant la référence à la fameuse ceinture.

« La ‘Lielvārdes josta’ est considérée comme un des joyaux de l’art populaire letton et a donné lieu à de nombreuses recherches, interprétations, théories. Certains chercheurs pensent pouvoir décrypter derrière ces symboles une sagesse secrète. Elle a joué un rôle dans la renaissance de la culture lettone durant ‘le Réveil’ des années 1970/80, le mouvement contestataire letton notamment écologiste, hippie redécouvrant un univers fascinant à la fois local et totalement dans l’air du temps« , précise Nicolas Auzanneau.

Une polémique alimentée par l’ambassade de Russie en Lettonie

Si la vidéo de Ruptly est dépourvue du moindre commentaire, le descriptif de ces images en date du 30 novembre sur le site du média russe, précise qu’on y voit des ugunskrusts, tout en évoquant la « polémique » qui aurait été provoquée par leur usage en raison de leur ressemblance avec « la svastika nazie« .

La veille, l’ambassade de Russie en Lettonie avait partagé, sur sa chaîne Telegram, des photos du symbole visible sur le sapin de Lielvārde en affirmant qu’on pouvait toujours observer des « croix gammées » dans les rues ou décorations lettones de fin d’année.

Capture d’écran réalisée sur Telegram le 5 décembre 2022.

Le même jour, un journaliste de Russia Today, Alexei Stefanov, avait publié sur Telegram une photo de la même décoration, sans commentaire. Avant, le lendemain, de réagir à un article du média lettonJauns qui fustigeait les publications de ces « propagandistes russes » y voyant un symbole du nazisme.

Les milliers de Russes de Lettonie constituent environ 30% de la population de l’Etat balte et se réunissent chaque année le 9 mai pour commémorer la victoire de 1945 contre l’Allemagne nazie. Mais la plupart des Lettons perçoivent cette date comme le début d’une occupation soviétique de près de 50 ans qui s’est achevée en 1991 : presque tous les monuments et plaques de l’ère soviétique, à l’exception de ceux situés dans les cimetières militaires, ont ainsi été supprimés à cette date.

Si l’armée rouge avait d’abord occupé la Lettonie suite au pacte germano-soviétique de 1939, elle en avait été chassée après l’attaque de l’Allemagne contre l’URSS en 1941. Certains Lettons avaient ainsi accueilli les nazis comme des libérateurs ayant mis fin à l’occupation et à la terreur soviétiques, avant que les nazis n’y instaurent leur propre terreur exterminant quelque 70.000 des 85.000 Juifs vivant dans ce pays, parfois avec l’aide de leurs collaborateurs locaux.

Quelque 140.000 Lettons se sont engagés ou ont été enrôlés dans la Waffen SS, unité d’élite du régime nazi, pour combattre l’armée rouge tandis que 130.000 autres ont combattu aux côtés de l’URSS.

Depuis l’autorisation en 2011 et en 2012 par un tribunal letton d’une parade annuelle controversée, des vétérans de la Waffen SS et leurs sympathisants se sont réunis à plusieurs reprises à cette occasion dans les rues de Riga, notamment en 2014, 2015 et 2016. Des rassemblements qui avait réuni environ un millier de personnes et suscité de vives critiques de Moscou et de la minorité russe de Lettonie – les anciens combattants et leurs partisans affirmant pour leur part que les légionnaires n’étaient pas des nazis mais qu’ils se battaient pour l’indépendance.

Des manifestants à un rassemblement contre « l’héritage soviétique » de la Lettonie, le 20 mai 2022 à Riga.
(AFP / GINTS IVUSKANS)

La Lettonie, soutien de l’Ukraine

En août 2022, la destruction, à Riga, d’un monument des années 1980 commémoratif de la victoire de l’armée soviétique sur l’Allemagne nazie , conformément à la législation mise en place après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, avait elle aussi entraîné les protestations de la minorité russe, cet édifice faisant office de point de ralliement pour les partisans du Kremlin en Lettonie.

Le même mois, le Parlement letton a qualifié la Russie d' »Etat soutenant le terrorisme« , dont les actes en Ukraine constituent un « génocide ciblé contre le peuple ukrainien« , dans une déclaration publiée sur son site internet, immédiatement saluée par Kiev et dénoncée par Moscou.

La Lettonie, qui fait partie de l’Union européenne et de l’Otan depuis 2004, s’est résolument positionnée en soutien à l’Ukraine depuis l’invasion russe du pays, qui vise, selon la rhétorique du Kremlin, à sa « démilitarisation » et sa « dénazification« . Un argumentaire réfuté par plusieurs spécialistes interrogés en mars 2022 par l’AFP, ces derniers estimant que si des mouvements ultra nationalistes sont actifs dans le pays, notamment dans l’armée, ils restent « minoritaires » et marginalisés au niveau politique.

Alexis ORSINI

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