Dans le rapport annuel de la Commission européenne sur l’État de droit, le Media Pluralism Monitor, qui évalue les risques touchant la liberté et le pluralisme des médias dans l’UE, a introduit pour la première fois un classement global des États membres. Celui-ci est divisé en cinq niveaux de risque, la Bulgarie, la Grèce, la Hongrie, Malte, la Pologne, la Roumanie et la Slovénie étant identifiées comme des pays à « haut risque ». De ce fait, l’indépendance éditoriale et administrative des radiodiffuseurs publics de ces pays devrait être renforcée. Lors de la présentation du rapport sur l’État de droit de la Commission européenne, en juillet, la vice-présidente Věra Jourová, responsable des valeurs et de la transparence au sein de la Commission européenne, a déclaré que les développements en Slovénie avaient incité la Commission à réfléchir à une loi sur la liberté des médias à l’échelle européenne.
« Le rapport montre que la protection des journalistes, l’indépendance des médias publics ou des autorités de régulation et le pluralisme des médias sont déficients (…). Ceci est un signal d’alarme inquiétant », a déclaré Maja Sever, la présidente de la Fédération européenne des journalistes (FEJ). Elle a en outre appelé la Commission européenne à « adopter une loi forte sur la liberté des médias, qui renforcerait concrètement la protection des journalistes et l’indépendance des médias. (…) Elle devrait également imposer à l’industrie des médias une plus grande transparence et un respect total de l’autonomie éditoriale ».
Future loi européenne sur la liberté des médias – que faut-il en attendre ?
Le European Media Freedom Act (EMFA) devrait être présenté par la Commission européenne à la mi-septembre, après qu’une directive anti-SLAPP a été proposée dès le mois d’avril. Les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique – communément appelées SLAPP, de l’anglais Strategic Lawsuit Against Public Participation – sont des actions intentées contre des journalistes, des médias et des activistes. Elles sont considérées comme une forme particulière de harcèlement des journalistes, car les procédures judiciaires s’étendent généralement sur plusieurs années et représentent donc une perte d’argent et de temps considérable pour le défendeur. Ce phénomène est en augmentation dans l’UE. La Commission européenne a l’intention de mettre en place des mesures de protection efficaces afin d’éviter que les journalistes soient réduits au silence par ce type de harcèlement. Selon la Commission européenne, la diffamation est un des prétextes les plus fréquents des SLAPP lancées contre des journalistes.
Plusieurs organisations de défense de la liberté de la presse attendent beaucoup de la proposition relative à l’EMFA. Selon la Commission, cette proposition se concentrera sur la simplification des étapes de mise en place et d’exploitation de services médiatiques. La proposition devrait notamment compléter la recommandation sur la protection, la sécurité et le renforcement de l’autonomie des journalistes. Existent aussi la loi sur les services numériques et l’initiative anti-SLAPP visant à protéger les journalistes et les défenseurs des droits contre les litiges juridiques abusifs. Cette loi a été adoptée récemment. Mais quelle est la situation dans les États membres ?
Les médias slovènes face à des défis majeurs
Les médias slovènes sont confrontés depuis des années à des problèmes économiques et font face à des bouleversements sociaux. Les principaux problèmes sont le manque de transparence des propriétaires des médias, le sous-financement, la réglementation déficiente et les atteintes à l’autonomie et à l’indépendance des journalistes.
En 2020 et 2021, le financement public de l’agence de presse slovène (STA) a été interrompu. À cela se sont ajoutés des tentatives de modification de la législation sur les médias et des efforts visant à saper la crédibilité des médias publics et à les soumettre à la politique dominante sous le gouvernement de Janez Janša. Ces développements ont suscité de vives inquiétudes au sein des associations de journalistes slovènes et internationales ainsi que de la Commission européenne.
La Commission s’est dite préoccupée par le fait que la liberté des médias n’était pas respectée et a signalé que la Slovénie risquait de suivre les traces de la Hongrie en matière de liberté des médias, notamment parce que Budapest finance des médias proches du Parti démocratique (SDS) de Janez Janša.
Le gouvernement de Robert Golob, entré en fonction en juin, s’est engagé à réviser la législation sur les médias. Il a élaboré un projet de loi visant à dépolitiser la chaîne publique RTV Slovenija et à renforcer son indépendance. Le parti SDS a alors demandé un référendum sur le projet de loi, l’empêchant ainsi d’entrer en vigueur.
La situation est également tendue à la radio, où les syndicats de journalistes sont en grève depuis mai. Ils réclament l’autonomie journalistique et critiquent les pressions politiques. Les syndicats reprochent à la direction politique de s’immiscer dans les décisions éditoriales et dans celles concernant le personnel. Cette orientation a été mise en place sous le gouvernement précédent et renforcée par la nomination du nouveau directeur de Televizija Slovenija après les élections d’avril.
Tout cela contribue à la perte de confiance du public slovène dans les médias. Un sondage réalisé en avril par l’institut Valicon a révélé que parmi toutes les institutions affichant un taux de confiance négatif, c’est la radiotélévision publique qui avait enregistré la plus grande perte de confiance. En outre, la confiance dans les médias en général a diminué.
L’Italie rétrogradée au classement de la liberté de la presse
La situation est également précaire dans le pays voisin, l’Italie, qui a perdu 17 places dans le classement annuel de Reporters sans frontières (RSF) sur la liberté de la presse dans le monde, pour se retrouver à la 58e place sur 180 pays. Les peines de prison pour diffamation ont été largement abolies à la suite d’une décision inédite de la Cour constitutionnelle en 2021. Toutefois, l’augmentation des plaintes SLAPP et la combinaison de diffamation pénale et civile sont préoccupantes.
Croatie : près de 1 000 plaintes SLAPP contre des journalistes et des médias
La scène médiatique croate est devenue plus diversifiée et dynamique, mais l’Etat ne parvient pas à protéger les journalistes contre les tentatives judiciaires pour les museler. RSF constate que le gouvernement lui-même constitue une menace pour la liberté de la presse en Croatie. Une demi-douzaine de journaux nationaux paraissent chaque jour, mais deux entreprises de médias, Styria et Hanza Media, contrôlent les trois quarts du marché. Les deux grandes chaînes de télévision privées Nova TVZ et RTL couvrent l’ensemble du pays et concurrencent la chaîne publique HTV, tandis que la plupart des stations de radio ne diffusent que des émissions locales.
Le travail de journaliste en Croatie peut parfois être dangereux. Les reporters qui enquêtent sur la corruption, le crime organisé et les crimes de guerre sont souvent victimes de campagnes de harcèlement, surtout au niveau local. Mais les agressions physiques, les menaces et la cyberviolence constituent également un problème majeur. Les autorités ne font rien. Selon RSF, l’influence du gouvernement sur la gestion de la radio publique HTV ne faiblit pas.
En Croatie, la diffamation est un délit, et les hommes politiques et les hommes d’affaires l’invoquent régulièrement pour empêcher les journalistes de les interroger sur leurs activités. En outre, l’insulte « à la République, à ses symboles, à son hymne national ou à son drapeau » est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison. Plus grave encore, les commentaires considérés comme « dégradants » sont punis. Les poursuites-bâillons (SLAPP) restent un fléau et, selon le rapport de RSF, près d’un millier de plaintes contre des journalistes ou des organisations de médias sont en cours.
Selon le rapport 2022 de Freedom House, en Croatie, les médias sont fortement polarisés. Les journalistes continuent de faire l’objet de menaces, de harcèlement et d’attaques occasionnelles, ce qui a fait naître une tendance à l’autocensure. Dans le classement mondial de la liberté de la presse 2022, publié le 2 mai 2022 par Reporters sans frontières (RSF), la Croatie est classée 48e. Cela représente une amélioration par rapport à 2021, où le pays était 56e.
La liberté de la presse dans des pays non membres de l’UE en ligne de mire
C’est aux médias et aux institutions religieuses que les citoyens de Bosnie-Herzégovine (BiH) font le plus confiance, et aux hommes et partis politiques qu’ils le font le moins. Voilà ce qui ressort de l’étude « Liberté des médias en Bosnie-Herzégovine en 2022 », réalisée par l’association de journalistes BH et la fondation Friedrich-Ebert.
Bien que plus de 80 pourcent des habitants de Bosnie-Herzégovine déclarent avoir foi dans les médias, nombre d’entre eux estiment que ce sont les partis politiques et les politiciens qui ont l’influence la plus importante sur les médias et la liberté des médias. Deux tiers des personnes interrogées estiment que la dépendance politique et financière constitue la principale entrave aux médias et à la liberté des médias.
Selon les associations de journalistes, la législation sur les médias en Bosnie-Herzégovine est relativement bonne, mais de nombreux médias, en particulier locaux, sont financièrement dépendants de centres décisionnels politiques ou économiques. L’industrie publicitaire est l’une des plus modestes d’Europe, et l’éducation aux médias est faible. D’un autre côté, la diffamation a été dépénalisée, ce qui a sans aucun doute un effet positif sur la liberté des médias en Bosnie-Herzégovine.
Macédoine du Nord : la désinformation généralisée reste une menace
Par rapport à l’année dernière, la Macédoine du Nord a gagné 33 places dans le classement de Reporters sans frontières sur la liberté des médias. Le pays se classe 57e sur 180 en 2022, alors qu’il était encore 90e dans le classement de 2021. Selon le rapport, même si en Macédoine du Nord les journalistes ne travaillent pas dans un environnement hostile, « la désinformation généralisée et le manque de professionnalisme contribuent à la perte de confiance de la société dans les médias, exposant ainsi les médias indépendants à des menaces et des attaques ».
Le rapport constate un manque de transparence des institutions politiques dans leurs relations avec les médias. En conséquence, les médias peuvent être soumis à la pression des autorités, des politiciens et des hommes d’affaires en raison de la forte polarisation politique. Les deux principaux partis, souligne le rapport, ont créé des systèmes médiatiques parallèles sur lesquels ils exercent leur influence politique et économique. Le rapport indique que l’abus juridique de la loi sur la responsabilité civile pour diffamation conduit à l’autocensure dans les médias. « Les actions en justice sont utilisées comme moyen d’intimidation et de pression sur les médias indépendants, y lit-on. Bien que certains types de concentration des médias soient interdits par la loi, les journalistes de plusieurs grandes chaînes de télévision sont soumis à la pression économique de leurs propriétaires. Le financement public est limité et opaque, et les médias indépendants dépendent largement des donateurs. »
Les États membres de l’UE passifs face à la détérioration de la liberté des médias
Globalement, la diffamation et l’autocensure constituent une menace pour la liberté des médias et la liberté d’expression en Europe. La lutte contre la détérioration de la liberté de la presse et du pluralisme des médias reste un défi. Maja Sever, la présidente de la FEJ, a signalé que « trop d’États membres de l’UE restent passifs face à la détérioration des conditions de travail des journalistes et au recul de la liberté de la presse ». Reste à voir comment la nouvelle loi sur la liberté des médias influencera la situation.
Cet article est publié le vendredi. Le contenu est basé sur les informations des agences membres de l’enr.