La revalorisation des salaires du personnel de l’Union européenne et de la présidente de la Commission est automatiquement calculée selon des règles strictes, qui dépendent de niveau de l’inflation à Bruxelles et Luxembourg et de l’évolution du pouvoir d’achat des fonctionnaires des Etats membres.
« Incroyable: Ursula exige une augmentation de 15%! 4.700 euros par mois en plus! Après une augmentation de salaire de 8% déjà en janvier. Idem pour les fonctionnaires UE. Pendant ce temps, inflation et austérité pour les peuples », affirme le président des Patriotes Florian Philippot dans un message sur sa page Facebook partagé près de 800 fois.
« Ursula von der Leyen qui plonge les classes populaires dans le marasme réclame une augmentation de salaire de 15%! Indécence totale », s’insurge cet internaute sur Twitter dans un message affichant près de 600 likes. Ces allégations circulent également sur les réseaux sociaux en allemand et en néerlandais.
La plupart de ces publications relaient un article publié le 12 juin 2023 sur le média en ligne autrichien eXXpress. « Ce qui est écrit dans le plan budgétaire de l’Union européenne pour l’année 2024, récemment découvert, va mettre de nombreux Autrichiens et Allemands vraiment en colère: tandis que les travailleurs de ces pays doivent supporter le fardeau énorme que représente la dévaluation brutale de la monnaie […] les 50.000 salariés de l’UE veulent s’offrir une augmentation de 15% de leurs revenus mensuels », affirme l’article.
Concernant la présidente de la Commission européenne, « après la récente augmentation de 7%, Von der Leyen touchera un salaire brut de 31.250 euros par mois. A partir de l’année prochaine, ce montant devrait passer à 35.957,50 euros, soit une augmentation mensuelle de 4.687,50 euros« , ajoute l’eXXpress.
« Ces articles sont faux et trompeurs », a réagi la représentation de la Commission européenne en Autriche dans un communiqué publié le 15 juin (lien archivé ici).
Si le plan budgétaire européen pour 2024 contient bien des chiffres sur les revalorisations de salaire pour les fonctionnaires de l’Union européenne et les membres de la Commission, il ne s’agit que de prévisions visant à anticiper d’éventuels besoins budgétaires et le chiffre de 15% n’apparaît pas dans le document.
De plus, ces revalorisations ne résultent pas de demandes formulées par Ursula von der Leyen, mais sont des hausses automatiques dont le mode de calcul est précisément défini dans le règlement de l’Union européenne.
Quelles prévisions dans le plan budgétaire pour 2024 ?
La Commission européenne a proposé le 7 juin (lien archivé ici) un projet de budget de l’Union européenne pour 2024 de 189,3 milliards d’euros. Celui-ci devra être négocié et approuvé par les Etats membres et le Parlement européen dans les mois à venir (lien archivé ici).
Le projet de budget est disponible sur le site de l’Union européenne (lien archivé ici). Il détaille le budget prévisionnel de chaque institution européenne pour 2024, et notamment celui de la Commission européenne.
« L’inflation élevée et la hausse des prix de l’énergie continuent d’exercer une pression considérable sur les dépenses administratives. La Commission a de nouveau examiné attentivement la demande budgétaire pour ses propres crédits administratifs pour 2024 et a cherché à compenser toute augmentation nécessaire par une réaffectation des priorités et des réductions dans tous les domaines possibles », indique le projet.
Concernant les dépenses liées aux rémunérations du personnel de la Commission, le document prévoit une augmentation de 4,7% principalement due à « la revalorisation estimée des salaires annuels à partir du 1er juillet 2023 (+4,4%) et à partir du 1er juillet 2024 (+3,4% sur une base semestrielle) ».
Le projet est accompagné d’une série d’annexes. La sixième détaille les dépenses administratives des institutions européennes (lien archivé ici). On y trouve la revalorisation salariale estimée pour les membres de la Commission européenne, dont sa présidente Ursula von der Leyen.
Le document précise le mode de calcul du salaire des membres de la commission. Pour la présidente, son salaire est équivalent à 138% du « traitement de base d’un fonctionnaire de grade AD 16/3 au 01/07/2022 » qui était de 22.646,29 euros, soit 31.252 euros. Ce chiffre correspond à celui cité dans l’article d’eXXpress comme étant le montant de la rémunération brute actuelle de Mme von der Leyen.
Un tableau récapitule la revalorisation provisionnée pour l’exercice à venir. Comme pour les autres salariés de la Commission, la prévision de revalorisation pour le salaire de Mme von der Leyen est de +4,4%. Toujours comme pour les autres salariés, une actualisation « éventuelle » de +3,4% au 1er juillet 2024 est également mentionnée.
Nulle part dans le document n’apparaît donc l’hypothèse d’une revalorisation de 15% des salaires, que ce soit pour la présidente de la Commission ou les autres salariés de l’Union européenne.
De plus, les revalorisations mentionnées dans le plan ne sont pas actées.
Il ne s’agit que d’estimations. Ces chiffres « visent à anticiper d’éventuels besoins budgétaires. Cela ne signifie pas que ce montant sera versé aux personnels de l’Union européenne. Ce qui sera versé sera le montant qui sera calculé par Eurostat [le service statistiques de l’UE, NDLR] en fonction de l’évolution du pouvoir d’achat des fonctionnaires nationaux« , a indiqué à l’AFP le 19 juin le service de presse de la Commission.
Des revalorisations automatiques
Le salaire de la présidente de la Commission européenne n’est pas fixé en fonction des demandes de la personne en charge de la fonction, mais obéit à des règles établies en 1967 (lien archivé ici). Comme écrit dans le plan budgétaire, il correspond à 138% de celui d’un fonctionnaire ayant atteint l’échelon et le grade le plus élevé de la grille.
Quant à son évolution annuelle, celle-ci obéit également à des règles, les mêmes qui s’appliquent aux fonctionnaires de l’UE, aux députés européens ou aux juges de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Ces règles reposent sur « une décision de 2013 du Parlement européen et des Etats membres au conseil, qui a décidé d’un système prédéfini de calcul des ajustements salariaux pour les institutions de l’UE », a indiqué à l’AFP un porte-parole de la Commission européenne.
L’évolution des salaires des fonctionnaires de l’Union européenne dépend en fait de deux facteurs : l’évolution de l’inflation d’un part et celle – à la hausse ou à la baisse – du pouvoir d’achat des fonctionnaires dans les pays membres d’autre part.
« Le montant exact de la revalorisation est calculé par Eurostat en fonction de l’évolution du pouvoir d’achat net des fonctionnaires nationaux sur la période de juillet de l’année précédente à juillet de l’année en cours, ainsi que de l’évolution de l’inflation à Bruxelles et à Luxembourg. En d’autres termes, si les salaires des fonctionnaires dans nos Etats membres augmentent ou diminuent en moyenne, il en va de même pour ceux des fonctionnaires de l’UE. Si une forte inflation est observée au cours de la première moitié de la période de référence, une mise à jour intermédiaire est prévue », a expliqué ce porte-parole.
Concrètement, les salaires et pensions du personnel de l’UE (y compris la présidente de la Commission) sont automatiquement mis à jour une fois par an (avec le bulletin de salaire de décembre). Exceptionnellement, lorsque l’inflation est très élevée (au delà de 3% au cours de la première partie de la période de référence de juillet à décembre de l’année précédente), il y a une mise à jour automatique intermédiaire au milieu de l’année (normalement avec le bulletin de salaire de juin).
« C’est le cas cette année. La mise à jour intermédiaire est de 1,7% et a été versée au personnel avec le bulletin de salaire de juin, rétroactivement depuis janvier 2023. En décembre 2023, il y aura la mise à jour annuelle automatique finale, reflétant l’évolution finale du pouvoir d’achat des fonctionnaires nationaux. Cette mise à jour annuelle prend automatiquement en compte ce qui a été versé lors de la mise à jour intermédiaire de juin », a précisé le service de presse de la Commission européenne.
« Etant donné que l’évolution finale [du pouvoir d’achat, NDLR] des fonctionnaires nationaux entre juillet 2022 et juillet 2023 n’est pas encore connue, il n’est pas possible de savoir quelle sera la mise à jour annuelle automatique de 2023. Cela vaut également pour la mise à jour annuelle de 2024″, a ajouté le service de presse.
C’est aussi ce qu’explique sur son site l’Union syndicale fédérale (USF), qui représente les salariés du service public européen (lien archivé ici). Entre juillet et décembre 2022, l’inflation à Bruxelles et Luxembourg a augmenté de 3,7% selon les calculs d’Eurostat. Mais dans le même temps, le pouvoir d’achat des fonctionnaires nationaux a reculé, aboutissant à une revalorisation intermédiaire pour les fonctionnaires européens de 1,7%.
« Alors que l’inflation ralentit, il est trop tôt pour tenter de prédire ce que pourrait être l’actualisation annuelle, mais il faut savoir que les 1,7% d’actualisation que nous aurons déjà reçus en milieu d’année seront bien entendus décomptés du résultat annuel », indique le syndicat.
Pour que le salaire des fonctionnaires européens et de Mme von der Leyen progresse de 15% dans un contexte où l’inflation ralentit en Belgique et au Luxembourg (respectivement à +2,7% et +2,0% en mai selon Eurostat -lien archivé ici), il faudrait donc que le pouvoir d’achat des fonctionnaires des Etats membres s’améliore très nettement.
Une revalorisation de 4,5% en 2022 et un rattrapage
Plusieurs publications que nous examinons avancent que les fonctionnaires européens et Mme von der Leyen auraient déjà perçu une hausse de salaire de 7% en 2022. Le chiffres est exact, mais cette hausse résulte en fait d’un rattrapage exceptionnel.
De juillet 2021 à juin 2022, l’inflation à Bruxelles et Luxembourg a progressé de 8,6%. Mais sur la même période, le pouvoir d’achat des fonctionnaires nationaux a reculé de 3,9%. La revalorisation nette de la rémunération du personnel de l’Union européenne a par conséquent été de 4,5% sur l’année, prenant en compte une revalorisation intermédiaire de 2,4% en raison de la forte inflation, comme l’explique l’Union syndicale fédérale (lien archivé ici).
A cette revalorisation, correspondant au mode de calcul en vigueur pour les fonctionnaires de l’Union, s’est ajoutée « le dégel des 2,5% non accordés en 2020, suite à la crise économique » donnant « finalement +7,0% ».
« Une augmentation de 2,5% avait été accordée aux fonctionnaires nationaux en 2020, mais avait été suspendue pour le personnel de l’Union européenne en raison de la forte baisse du PIB de l’UE en 2020 », a détaillé auprès de l’AFP le service de presse de la Commission. En 2022, cette augmentation a été débloquée car le PIB de l’UE a atteint son niveau d’avant-crise de 2019.
Ce mécanisme de gel était aussi expliqué en 2021 par Union for Unity, un autre syndicat représentant le personnel de l’UE, sur son site (lien archivé ici) « Le niveau de l’indicateur spécifique [correspondant à l’évolution du pouvoir d’achat des fonctionnaires européens, NDLR], évalué à +2,5% en 2020, n’a pas été accordé, en application de la clause d’exception; la diminution du PIB de l’UE étant supérieure à 3%. Toutefois cette partie de l’adaptation [ou revalorisation, NDLR] sera appliquée au moment où le PIB de l’Union retrouvera son niveau de 2019″.
Les salaires et avantages du personnel et des dirigeants des institutions européennes sont un constant sujet de polémiques et de critiques, notamment de la part de certains Etats membres en période de restriction budgétaire (par exemple ici, ici ou plus récemment ici – liens archivés ici, ici et ici). Ils donnent également lieu régulièrement à de fausses informations, dont certaines ont fait l’objet d’articles de vérification de l’AFP, comme récemment ici.
Bénédicte REY
AFP Belgique
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