L’UE a donné mardi son aval final à une refonte historique de sa politique de migration et d’asile qui verra les frontières renforcées et les responsabilités partagées entre les États membres.
Les responsables de l’UE ont eu du mal à finaliser les réformes migratoires avant les élections européennes prévues en juin. La question suscite des divisions politiques, en particulier depuis l’afflux d’arrivées en 2015 qui a révélé les faiblesses du système.
Le nouvel ensemble de lois est le produit d’années de débats acharnés, qui ont atteint leur paroxysme lors d’un vote tendu au Parlement européen en avril.
La réforme se compose de dix textes législatifs soutenus par la grande majorité des États membres de l’UE. La Hongrie et la Pologne ont voté contre l’ensemble du paquet et des pays comme l’Autriche et la Slovaquie se sont opposés à certaines parties. La République tchèque, également critique, s’est abstenue lors des dix votes.
Après confirmation par les pays de l’UE, le nouvel accord sera publié au Journal officiel de l’UE. Les Etats membres auront alors deux ans pour mettre en pratique les règles adoptées le 14 mai. La Commission européenne présentera prochainement un plan de mise en œuvre commun pour aider les États membres dans ce processus, a indiqué la présidence belge de l’UE.
Les nouvelles lois exigent que les 27 États membres de l’UE assument une certaine responsabilité dans la gestion des demandes d’asile – y compris ceux qui ont voté contre les réformes – mais le paquet rend également les règles plus strictes pour les demandeurs. Il crée de nouveaux centres frontaliers qui détiendront les migrants irréguliers pendant que leurs demandes d’asile sont examinées. Les renvois des personnes jugées non admissibles seront accélérés.
« Ces nouvelles règles rendront le système d’asile européen plus efficace et augmenteront la solidarité entre les États membres », a déclaré la ministre belge de l’Asile et de la Migration, Nicole de Moor.
Le président du Conseil européen, Charles Michel, a qualifié la législation de « jalon dans la réponse de l’UE visant à gérer les migrations et à réformer le système » sur X, tandis que le chancelier allemand Olaf Scholz a salué un « accord historique ».
À l’opposé, le Premier ministre tchèque Petr Fiala a déclaré que même si l’accord constituait un premier pas dans le combat contre l’immigration clandestine, il n’était pas suffisant. C’est la raison pour laquelle la République tchèque a co-fondé un groupe de pays souhaitant lutter plus fermement contre l’immigration clandestine, a-t-il expliqué.
Un sentiment partagé par la Première ministre danoise Mette Frederiksen qui a jugé la situation actuelle des flux migratoires vers l’Europe « insoutenable » lors d’une conférence sur cette question le 6 mai à Copenhague.
Le pacte suscite les critiques de la part des organisations de défense des droits des migrants, de certains gouvernements nationalistes et de chercheurs, pour différentes raisons. Amnesty International, par exemple, a fait valoir que sa mise en œuvre « conduirait à de plus grandes souffrances humaines ».
La chercheuse en migration Judith Kohlenberger, de l’Université d’économie et de commerce de Vienne, a déclaré dans une interview à l’agence de presse autrichienne que la réforme ignorait complètement la lutte contre les causes de l’exode des migrants de leur pays d’origine. « D’un côté, nous repoussons les réfugiés, de l’autre nous contribuons à créer des raisons de leur exode – telles les conséquences de la crise climatique ou de la politique économique. L’Europe contribue à l’exode et à la migration de main-d’œuvre », a souligné Kohlenberg.
Selon elle, le seul point positif du pacte est que les 27 États membres sont finalement parvenus à un compromis sur la politique migratoire.
« S’il n’y avait eu aucun progrès dans ce domaine, cela aurait été une déclaration de faillite de la Commission européenne. » Cela ferait le jeu des partis de droite lors des élections européennes de juin.
Ce scrutin devrait voir une montée en puissance des partis d’extrême droite faisant campagne sur la nécessité de réprimer l’immigration irrégulière. Les Démocrates de Suède – parti membre du groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR) au Parlement européen – ont par exemple choisi « Mon Europe construit des murs » comme principal slogan pour les prochaines élections européennes.
Petar Volgin, eurodéputé et candidat du parti d’extrême droite bulgare Vazrazhdane, a déclaré dans une interview que la possibilité d’« inonder » le pays de migrants ou, alternativement, « payer des sommes exorbitantes pour les empêcher de venir ici au nom de [l’adhésion de la Bulgarie à l’espace Schengen pour les voyages par les airs ou les mers] » doit être retirée. Ce n’est qu’à ce moment-là que la Bulgarie pourra rétablir sa souveraineté nationale et renforcer son économie.
Fabrice Leggeri, ancien directeur de Frontex et troisième sur la liste du parti d’extrême droite français Rassemblement national pour les élections européennes, a déclaré qu’il considérait le vote de juin comme « un référendum ». Frontex est l’agence européenne chargée des frontières. Leggeri a également rejeté l’idée selon laquelle Frontex serait une « super ONG humanitaire » dans une interview accordée à l’agence de presse portugaise LUSA, plaidant plutôt pour le « pragmatisme » dans la gestion des migrations.
Eurostat : les demandes d’asile en hausse en Europe
Les demandes d’asile en Europe sont en augmentation, selon les données d’Eurostat. En 2023, 1.048.900 primo-demandeurs d’asile ont été enregistrés, soit une augmentation de 20 pour cent par rapport à 2022 (873.700), atteignant presque les records de 2015 et 2016.
Le nombre le plus élevé de primo-demandeurs d’asile en 2023 par rapport à la population de chaque État membre a été enregistré à Chypre (13 demandeurs pour 1 000 personnes), suivi de la Grèce et de l’Autriche (six demandeurs pour 1 000 personnes dans les deux pays).
Mécanisme de solidarité : accueillir les réfugiés ou payer
Le mécanisme vise à alléger la charge qui pèse sur les pays où les arrivées sont nombreuses – par exemple l’Italie, la Grèce ou l’Espagne. Le plan est de redistribuer chaque année au moins 30 000 réfugiés de ces pays vers d’autres Etats de l’UE. Si un pays ne veut pas accueillir de réfugiés, il doit apporter son soutien aux pays sous pression, par exemple sous forme de contribution financière.
En Slovénie, par exemple, cela pourrait signifier que le pays devrait accueillir 126 personnes ou verser 2,8 millions d’euros par an.
La Slovaquie a exprimé son mécontentement, en votantcontre deux propositions du paquet de réformes sur dix : contre le paiement de 20 000 euros pour chaque migrant non accepté et contre le respect de certaines obligations en matière d’asile. Elle s’est abstenue sur les huit autres propositions jugées moins importantes.
« En particulier, nous n’étions pas d’accord sur des choses comme le fait que si nous refusons d’accueillir des migrants, nous devons payer 20 000 euros. Du point de vue de la Slovaquie, la situation est encore bonne aujourd’hui. Avec environ 30 000 migrants à redistribuer, l’impact sur la Slovaquie serait d’environ six millions d’euros, mais avec une migration massive, cela atteindrait des dizaines de millions », a expliqué le ministre des Finances Ladislav Kamenický après le vote.
Le plus gros problème pour Bratislava est que le nouvel accord ne mentionne pas de plafond financier pour ces paiements.
Les accords avec les pays tiers en hausse, 15 Etats veulent durcir les règles
Parallèlement à ces réformes radicales, l’UE intensifie ses accords avec les pays de transit et d’origine visant à réduire le nombre d’arrivées.
Ces derniers mois, des accords ont été signés avec la Tunisie, la Mauritanie et l’Égypte. D’autres exemples de la tendance à l’externalisation des politiques migratoires en Europe sont le modèle britannique du Rwanda ou l’accord bilatéral Italie-Albanie. Dans ce dernier, il s’agit d’envoyer vers l’Albanie les migrants secourus dans les eaux italiennes pendant que leurs demandes d’asile sont traitées. En février, le Parlement albanais a approuvé un projet de loi visant à renforcer la coopération avec l’Italie en matière de migration.
Dans une lettre commune adressée à la Commission européenne le 15 mai, quinze États de l’UE ont exigé un nouveau durcissement de la politique d’asile du bloc, facilitant ainsi le transfert des migrants sans papiers vers des pays tiers, y compris lorsqu’ils sont secourus en mer. La lettre cite l’exemple de l’accord conclu avec la Turquie en 2016 pour accueillir les réfugiés syriens fuyant la guerre dans leur pays d’origine.
La coalition a été créée par la République tchèque, le Danemark et l’Autriche. La lettre, signée par 15 ministres de l’Intérieur, a été remise à Bruxelles le 15 mai dans la soirée, a confirmé une porte-parole de la Commission européenne.
Selon elle, l’exécutif de l’Union va désormais se pencher sur son contenu. En outre, il s’occupera également de la mise en œuvre des législations incluses dans le paquet migratoire récemment adopté.
Les signataires sont la Bulgarie, la République tchèque, le Danemark, l’Estonie, la Grèce, l’Italie, Chypre, la Lettonie, la Lituanie, Malte, les Pays-Bas, l’Autriche, la Pologne, la Roumanie et la Finlande.
L’Italie et la Grèce accueillent un nombre important de personnes qui entreprennent le périlleux voyage à travers la mer Méditerranée pour rejoindre l’UE – dont beaucoup cherchent à échapper à la pauvreté, à la guerre ou aux persécutions, selon l’Organisation internationale pour les migrations.
Experts : l’externalisation doit être clarifiée
Les nouvelles propositions de pactes sur la migration et l’asile, telles que les pactes avec les pays tiers, relèveront du prochain exécutif européen qui prendra ses fonctions après les élections européennes.
Camille Le Coz, experte du Migration Policy Institute Europe, a déclaré que « beaucoup de questions » se posent sur la manière dont de telles initiatives pourraient fonctionner.
En vertu du droit européen, les migrants ne peuvent être envoyés vers un pays extérieur à l’UE où ils auraient pu demander l’asile que s’ils ont un lien suffisant avec ce pays. Cela exclut – pour l’instant – tout programme tel que l’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda.
Le Coz a déclaré qu’il fallait encore « préciser » le fonctionnement des propositions d’accords d’externalisation de l’UE, ainsi que la question de savoir « avec qui les autorités européennes travaillent, quels pays tiers ».
Henrik Emilsson, chercheur en migration à l’Université de Malmö, voit dans l’idée de gérer le processus d’asile en dehors de l’UE des « slogans politiques » plutôt que quelque chose de réalisable, au moins à court terme. Selon lui, les centres d’asile en dehors de l’UE pourraient même nécessiter une modification du traité.
Cet article est publié chaque semaine. Le contenu est basé sur les informations des agences participant à l’ENR.