« Bientôt la fin de la propriété privée en Europe ? »
, s’interroge l’auteure de ce fil Twitter, qui affirme que « l’UE travaille actuellement sur un projet de loi prévoyant l’expropriation des propriétaires d’anciens bâtiments résidentiels s’ils ne répondent pas aux nouvelles normes européennes d’efficacité énergétique. Ces bâtiments perdront leur permis d’occupation en 2030 ».

« Sans mise en conformité, vous ne serez pas autorisé à vivre dans votre propriété ou à la louer », poursuit cette internaute, qui relaie une vidéo de trois minutes. Un homme y présente plusieurs sources censées appuyer ce scénario, une caricature de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen derrière lui: « Bien sûr, il n’y a pas de véritable expropriation, vous n’avez simplement plus l’autorisation d’habiter votre propre maison ou de la louer ».

Capture d’écran réalisée sur Facebook le 28/02/2023
Capture d’écran réalisée sur Twitter le 28/02/2023

La même vidéo a été relayée sur Facebook et sur Telegram.

La Commission européenne a proposé en décembre 2021 une directive visant à rendre les bâtiments résidentiels européens – avec quelques exceptions – neutres en termes d’émissions carbone d’ici 2050.

Actuellement en négociation entre les différentes instances européennes, cette directive propose plusieurs échéances: à partir de 2030, toutes les nouvelles constructions devront être à émission nulle et les bâtiments résidentiels déjà existants devront atteindre la classe F de la performance énergétique (sur une échelle de A à G).

Contrairement à ce qu’affirment ces publications, cette directive ne prévoit aucune sanction précise contre les propriétaires ne se conformant pas aux nouvelles normes d’efficacité énergétique. Il s’agit en effet d’une compétence des Etats membres, ont expliqué plusieurs experts à l’AFP.

Les gouvernements devront fixer eux-mêmes les éventuelles sanctions pour les propriétaires réticents à effectuer les travaux de rénovation: actuellement, la Belgique prévoit principalement des amendes administratives et l’interdiction d’indexer les loyers, tandis qu’en France certaines habitations considérées trop énergivores ne peuvent plus être louées depuis janvier 2023.

La directive européenne recommande aux Etats de mettre en place de fortes incitations et aides financières, en plus de celles existantes, pour aider les propriétaires à rénover leurs biens.

Que dit cette vidéo ?

Cette vidéo, titrée « 7 ans avant l’expropriation : un projet de loi de l’UE menace les propriétaires ! » – a d’abord été publiée le 24 janvier 2023, sur la chaîne Youtube A.I Financial, qui relaie de nombreuses vidéos visiblement crées à l’aide d’une intelligence artificielle et censées révéler les secrets des élites mondiales. La description de la chaîne indique qu’elle « fournit des informations consolidées sur le marché et les entreprises », tout en prévenant les internautes qu’ils ne doivent prendre « aucune décision d’investissement ou de vie basée sur ce contenu ».

La légende de la vidéo partage le lien d’un communiqué du Parlement européen – ici en français – publié le 9 février 2023. Il annonce la position de la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie du Parlement sur la proposition de la Commission européenne de réviser la directive relative à la performance énergétique des bâtiments.

La Commission a proposé cette directive dans le cadre de la loi européenne « Ajustement à l’objectif 55 », qui vise à réduire les émissions de l’UE d’au moins 55% d’ici à 2030. Les bâtiments sont un enjeu majeur pour atteindre cet objectif, puisque leur construction, rénovation, démolition et utilisation représentent selon la Commission européenne 36% des gaz à effet de serre européens.

Comme l’explique le Conseil européen sur son site, la Commission européenne souhaite qu’à partir de 2050, les bâtiments résidentiels existants soient transformés en bâtiments à émissions nulles. Ces bâtiments résidentiels devraient petit à petit être rénovés pour atteindre différents paliers de performance énergétique, jusqu’à la neutralité carbone en 2050.

Capture d’écran réalisée le 02/03/2023 sur le site du Conseil européen

Des mesures européennes à horizon 2030 et 2050

Pour atteindre cet objectif, la Commission européenne veut harmoniser les échelles de performance énergétique, qui permettent de classer les bâtiments de A (neutre en carbone) à G – que la Commission souhaite faire correspondre aux 15% des bâtiments les moins performants des parcs nationaux. A l’heure actuelle, ces niveaux ne sont pas harmonisés entre les Etats membres.

Le texte de révision de la directive sur la performance énergétique, proposé par la Commission européenne le 15 décembre 2021, est disponible ici. La Commission propose que les bâtiments résidentiels existants soient rénovés de façon à atteindre une classe de performance énergétique minimale de F en 2030 et E en 2033.

Les députés européens sont plus exigeants, puisqu’ils demandent « une classe de performance énergétique minimale de E d’ici 2030, et D d’ici 2033 » pour les bâtiments résidentiels existants.

« Toutes les mesures nécessaires pour atteindre ces objectifs seront mises en place par chaque État membre par le biais de plans nationaux de rénovation« , précise le communiqué du Parlement européen. Les députés prévoient également des exceptions possibles aux rénovations obligatoires pour certains bâtiments, comme les lieux de culte, les bâtiments historiques ou encore les logements sociaux publics, « où les rénovations entraîneraient des augmentations de loyer qui ne peuvent être compensées par les économies réalisées sur la facture énergétique ».

Le Parlement précise que « les députés souhaitent permettre aux États membres d’ajuster les nouveaux objectifs à un nombre limité de bâtiments concernés par les nouvelles règles,en fonction de la faisabilité économique et technique des rénovations et de la disponibilité de main-d’œuvre qualifiée ».

Le projet de texte sera soumis au vote en séance plénière – l’assemblée mensuelle du Parlement européen – du 13 au 16 mars 2023 et, une fois voté, servira de base aux négociations avec le Conseil européen avant une adoption définitive de la directive européenne.

La directive de la Commission européenne ne prévoit pas d’interdire aux propriétaires de louer ou d’habiter leur logement

Une directive européenne est un acte législatif qui fixe des objectifs à tous les pays de l’Union européenne. Bien qu’obligatoire, elle est moins contraignante qu’un règlement puisque les Etats membres sont libres d’élaborer leurs propres mesures pour atteindre ces objectifs.

Dans sa proposition de révision de la directive, la Commission explique que « les ménages vulnérables sont particulièrement exposés à l’augmentation des prix de l’énergie car ils dépensent une plus grande partie de leur budget dans l’achat de produits énergétiques. En réduisant les factures d’énergie excessives, la rénovation des bâtiments peut faire sortir des personnes de la précarité énergétique et aussi en empêcher d’autres d’y entrer ».

Le texte rappelle l’importance de mettre en place des incitations financières pour encourager les propriétaires de bâtiments à les rénover, et précise que les gouvernements doivent veiller « à ce que les incitations financières bénéficient à la fois aux propriétaires et aux locataires, notamment en assurant des aides au loyer ou en plafonnant les hausses de loyer ».

Il ne mentionne aucune interdiction de louer ou d’habiter dans un bâtiment non rénové, encore moins l’expropriation d’un propriétaire ne se conformant pas aux normes européennes d’efficacité énergétique.

« Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales prises en application de la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de ces dispositions. Les sanctions ainsi prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives », précise la Commission européenne.

Le communiqué du Parlement européen évoqué plus haut ne mentionne, lui non plus, ni « expropriation » des propriétaires, ni interdiction de louer ou de vivre dans un bâtiment non rénové.

Une porte-parole de la Commission européenne a déclaré à l’AFP le 23 février 2023 que le projet de directive, « actuellement en cours de négociation, ne comprend aucune mesure sur l’expropriation« , et a rappelé que l’objectif est d’« intensifier la rénovation des bâtiments existants, notamment ceux dont la performance énergétique est la plus mauvaise, afin d’améliorer la performance et l’efficacité de nos bâtiments et de faire baisser les coûts énergétiques pour les citoyens ».

La Première ministre française Elisabeth Borne et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen à Bruxelles le 16 janvier 2023 ( AFP / Kenzo TRIBOUILLARD)

Interrogée sur une potentielle interdiction de louer ou d’habiter dans un bien non rénové, la porte-parole a déclaré que « la proposition de la Commission offre une certaine souplesse aux États membres pour établir les mesures d’application de la directive. C’est aux États membres de décider des mesures d’exécution pour les cas où le bâtiment n’atteint pas le niveau nécessaire ».

« La directive actuelle – votée en 2018 – ne prévoit pas la possibilité d’expropriation ou d’interdiction de location pour les propriétaires qui refuseraient de se conformer aux normes d’efficacité énergétique », a déclaré à l’AFP Ulrike Beuselinck, avocate spécialisée en droit immobilier et autrice d’un article sur la question, cela « contreviendrait en tout état de cause à l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui garantit le respect de la vie privée et de son domicile ».

Cependant, selon ce même article 8, les autorités nationales peuvent « prévoir une restriction à ce droit, si celle-ci est inscrite dans la loi et si elle constitue une mesure qui est nécessaire », a-t-elle précisé le 27 février 2023. « La transposition future de cette nouvelle directive ne devrait pas remettre en question le système actuellement en place » avec la directive de 2018a-t-elle ajouté.

« Le bâtiment reste une compétence nationale, c’est donc aux Etats membres d’établir ces obligations de rénovation », a abondé Camille Defard, cheffe du centre énergie de l’Institut Jacques Delors, interrogée le 17 février 2023 : « Il n’y a pas de sanction au niveau européen, car elles doivent être définies par les Etats membres ».

Selon la spécialiste, « 90% du parc immobilier européen doit être rénové » pour atteindre les objectifs de neutralité carbone fixée par la loi européenne.

L’interdiction de louer un logement trop énergivore existe en France, mais pas en Belgique

  • En France, interdiction de louer les passoires thermiques depuis le 1er janvier 2023

En France, la mise en location de logements dits « passoires énergétiques » est interdite depuis le 1er janvier 2023 pour les contrats de location conclus après cette date. Cette mesure concerne les logements considérés comme les plus énergivores, c’est-à-dire ceux consommant plus de 450KWh/m2.an.

Capture d’écran réalisée sur le site du ministère de la Transition écologique, le 28 février 2023

L’interdiction de location sera peu à peu étendue aux bâtiments notés G en 2025, puis F en 2028 et E en 2034. Le gouvernement français a mis en place en janvier 2020 une aide à la rénovation, qui peut être demandée par tous les propriétaires souhaitant rénover leurs biens, sans conditions de revenus. Les propriétaires peuvent également demander un prêt à taux zéro.

En août 2022, la France comptait 7,2 millions de logements classés F et G, selon les chiffres de l’Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE).

« L’objectif des rénovations, c’est aussi d’améliorer la qualité de vie des locataires », a commenté Camille Defard, « aujourd’hui, beaucoup de ménages modestes voient leurs factures d’énergie exploser ».

Malgré ces aides, le prix, le délai et la durée de ces rénovations a déjà poussé certains propriétaires à vendre leurs biens, comme le rapportait le Monde en janvier 2023.

Au-delà de ces interdictions de louer, les potentielles pénalités de non-rénovation pour les propriétaires une fois la directive mise en place « seraient plutôt des amendes », estime Camille Defard, qui qualifie une potentielle expropriation « d’aberrant ».

  • En Belgique, pas d’interdiction de louer à l’heure actuelle, mais des amendes administratives

La Belgique a adopté en 2020 un plan de relance économique, qui intègre la rénovation énergétique des bâtiments. Ces rénovations sont menées par les gouvernements flamand, wallon et bruxellois, qui prévoient plusieurs aides et primes pour les propriétaires souhaitant rénover leurs logements – ici pour la Flandre, par exemple.

Le gouvernement flamand a établi en janvier 2023 une obligation de rénovation pour les biens résidentiels achetés à partir de 2023: « Toutes les maisons et appartements achetés à partir de 2023 avec le label E ou F doivent être rénovés au label D ou mieux dans les 5 ans suivant l’achat », explique le site du gouvernement flamand.

Le Certificat de performance énergétique (PEB) en Flandre. La classe G n’existe pas dans cette région. Capture d’écran réalisée sur le site du gouvernement flamand le 01/03/2023

Le non-respect de cette obligation peut entraîner une amende administrative de 500 à 20 000 euros (répétée tant que le propriétaire ne se conforme pas à l’obligation), mais le site du gouvernement flamand ne mentionne ni expropriation ni interdiction de louer/d’habiter dans le logement.

En octobre 2022, le Parlement flamand a gelé pour un an les prix des logements locatifs dotés d’un label E et F, qui ne peuvent donc plus être indexés.

Depuis 2022, la région Wallonie-Bruxelles travaille avec l’Union européenne via différents programmes afin de rénover son parc immobilier. Le site du Service public de la Wallonie mentionne des amendes administratives en cas de non-respect du certificat PEB – qui évalue la performance énergétique d’un bâtiment – mais pas d’interdiction de louer ou d’habiter dans son propre logement.

En outre, les autorités peuvent refuser de délivrer un permis de construire ou d’urbanisme si le projet ne satisfait pas aux normes d’efficacité énergétique requises ; l’indexation des loyers est réduite pour les logements de classe D et E et interdite pour les logements de classe F.

Depuis octobre 2022, la région de Bruxelles-Capitale interdit également l’indexation des loyers pour les logements de catégorie F et G.

Certificat de performance énergétique en Wallonie. Capture d’écran réalisée le 01/03/2023 sur le site de l’entreprise Certinergie

La question de l’interdiction de mise en location des logements trop énergivores a été abordée au Parlement wallon en mai 2022. A la question d’un parlementaire qui demandait si cette solution était envisagée en Wallonie, le ministre du Logement Christophe Collignon avait alors répondu qu’il serait « intéressant de dresser le bilan de la mesure française après sa mise en œuvre et, surtout, d’examiner si elle n’a pas produit davantage d’effets pervers que d’effets vertueux », estimant que la mesure, « à la lecture de la presse française, déstabilise largement tout le marché immobilier » .

« Ce type de sanction n’est pas d’application à l’heure actuelle en Belgique », a commenté Ulrike Beuselinck, « l’idée n’est pas entièrement réfutée, mais la volonté n’est pour l’instant pas de ‘punir’ comme en France ».

« On peut, à l’heure actuelle, toujours louer une passoire énergétique en Belgique » , a confirmé à l’AFP François Soquet, responsable des certificats PEB dans l’entreprise Certinergie.

L’article du Spiegel

La vidéo mentionne également un article du magazine allemand Der Spiegel qui présentait le projet de directive au lendemain de sa publication, le 15 décembre 2021. Le Spiegel ne mentionne pas l’expropriation ou l’interdiction de louer ou de vivre dans un bâtiment non conforme aux nouvelles normes d’efficacité énergétique. Il relaie cependant des critiques, dont celle de l’association des propriétaires allemands Haus&Grund, qui avait estimé que « la rénovation ne sera pas une option pour de nombreux bâtiments des classes énergétiques F et G (…) Pour de nombreux propriétaires privés, l’UE met fin au rêve de posséder leurs propres quatre murs ».

Contactée le 22 février 2023 par l’AFP, Haus&Grund a expliqué que « les modernisations seront extrêmement coûteuses et surchargeront les propriétaires privés », évoquant également le manque de main-d’oeuvre qualifiée pour ces rénovations. Quant aux sanctions, en Allemagne, « il s’agira très probablement d’une taxe compensatoire en cas de non-respect de la norme énergétique prescrite. Il y aura donc des propriétaires qui devront vendre leurs biens à forte perte s’ils ne peuvent pas payer les rénovations », a fait valoir l’association.

La vidéo cite enfin un édito publié le 5 juin 2021 dans le quotidien canadien The National Post, qui ne mentionne pas la directive européenne sur la rénovation énergétique des bâtiments, qui n’avait d’ailleurs pas encore été présentée.

Marie Genries

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