La législation sur l’avortement au sein de l’Union est très diversifiée, allant des règles les plus libérales au monde aux plus strictes.
Selon le Centre pour les droits reproductifs (CRR), une organisation œuvrant pour la liberté de choix, seulement 34 % des femmes en âge de procréer vivent dans des pays (on en compte 77) où l’interruption volontaire de grossesse (IVG) leur est accessible. Le CRR affirme que les avortements clandestins sont responsables de 39 000 décès par an.
Le Parlement européen a demandé que l’accès à l’IVG soit inscrit dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE, mais cette proposition fait encore l’objet d’un débat et nécessiterait un accord unanime.
Le gouvernement de Madrid a proposé d’inscrire le droit des femmes à interrompre leur grossesse dans la Constitution début octobre, l’Espagne pouvant devenir ainsi le deuxième pays de l’UE après la France à prendre cette mesure. À l’opposé, Malte et la Pologne, membres de l’UE, interdisent presque totalement l’avortement.
De nombreux pays se situent entre les deux, mais souvent, les femmes n’ont pas accès aux droits qui existent sur le papier : la question ne se limite pas à la législation et à la politique, mais concerne aussi les aspects pratiques de l’accès et de la disponibilité des soins de santé.
Inscrire l’IVG dans la Constitution : la France, puis l’Espagne
En mars 2024, le Parlement français a voté l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution, devenant ainsi le premier pays au monde à offrir cette protection explicite. Selon divers sondages, environ 80 % de la population soutient cette initiative. Le président Emmanuel Macron a également plaidé pour l’inscription de ce droit dans la loi fondamentale de l’Union européenne.
En Europe, « rien n’est désormais gravé dans le marbre et tout doit être défendu », a-t-il déclaré lors d’une cérémonie de promulgation de la protection constitutionnelle. « C’est pourquoi je souhaite que cette liberté garantie de recourir à l’avortement soit inscrite dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. »
En France, l’IVG est légale sur demande jusqu’à 14 semaines et peut être pratiquée par les médecins généralistes et les sages-femmes.

Le gouvernement de gauche espagnol souhaite à son tour inscrire ce droit dans la Constitution afin de protéger les femmes de la « vague réactionnaire » qu’il estime initiée par l’extrême droite et l’opposition conservatrice.
Cette initiative fait suite au refus de certains gouvernements régionaux, dirigés par le Partido Popular (PP, droite), d’appliquer pleinement la loi actuelle en la matière. Ils refusent notamment de créer un registre des objecteurs de conscience permettant aux centres médicaux de connaître le personnel disponible pour pratiquer des avortements.
Le gouvernement central a toutefois reconnu qu’il serait difficile de réformer la Constitution, car elle nécessite le soutien des trois cinquièmes des deux chambres du Parlement, ce qui est impossible sans le PP. Le gouvernement a sollicité son aide, mais ses dirigeants n’ont pas encore adopté de position ferme sur la question, et a défendu sa décision de tenter d’amender la Constitution.
L’Espagne autorise l’IVG jusqu’à 14 semaines sur demande et jusqu’à 22 semaines en cas de danger pour la santé de la mère ou d’anomalies fœtales. Des services d’avortement sont disponibles en clinique.
Accès libre : Pays-Bas, Suède, Portugal, Danemark, Finlande et Belgique
Un groupe de pays, principalement d’Europe du Nord, offre un accès libéral, avec des différences principalement concernant la durée de la grossesse pendant laquelle l’avortement volontaire est légal.
Les Pays-Bas appliquent l’une des règles les plus libérales de l’UE, l’interruption de grossesse étant autorisée jusqu’à la 24e semaine. Les obstacles procéduraux sont faibles ; la procédure est largement accessible après le respect d’un délai de réflexion de cinq jours. Cela fait également des Pays-Bas une destination privilégiée pour les soins transfrontaliers.
En Suède, l’IVG est légale sur demande jusqu’à 18 semaines de grossesse, après quoi il nécessite une autorisation spéciale. Il n’y a pas de délai de réflexion obligatoire ni de conseil, et les services sont largement disponibles.
L’interruption volontaire de grossesse est légale sur demande jusqu’à dix semaines (au Portugal), douze semaines (en Finlande) ou dix-huit semaines (au Danemark). Au-delà de cette période, elle est autorisée pour des raisons médicales ou légales.
Cadre libéral, mais avec des obstacles
En Autriche, en Allemagne, en République tchèque, au Luxembourg, en Irlande, en Grèce, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, en Bulgarie, en Roumanie, en Slovénie, en Slovaquie et à Chypre, l’avortement est généralement possible jusqu’à 10 voire 14 semaines selon les pays. Cependant, les exigences procédurales varient et il n’est pas accepté de manière uniforme. Pour des raisons de santé ou en cas de viol ou d’inceste, des IVG tardives sont généralement possibles.
En Allemagne, l’avortement est techniquement une infraction pénale, mais n’est pas punissable s’il est pratiqué dans les 12 premières semaines, après une consultation obligatoire et un délai de réflexion de trois jours. Au-delà, il est également dépénalisé en cas d’indication médicale ou après un viol.
L’accès est inégal selon les régions, plus difficile dans les États du Sud traditionnellement catholiques, et plus facile dans le Nord et l’ex-Allemagne de l’Est.
La campagne du précédent gouvernement de centre-gauche en faveur de la légalisation a été suspendue pour le moment.
L’Irlande, bastion historique du catholicisme, a légalisé l’avortement en 2018 à la suite d’un vote massif lors d’un référendum qui a abrogé une interdiction constitutionnelle.
En Roumanie, il est légal sur demande jusqu’à 14 semaines de grossesse, et au-delà dans des cas exceptionnels mettant en danger la vie de la mère ou de l’enfant, mais il nécessite des procédures médicales strictes et justifiées. Bien que légale, l’IVG n’est pas toujours disponible dans les hôpitaux publics, où elle n’est pas entièrement prise en charge et son coût peut constituer un obstacle.
Selon la législation bulgare, l’avortement volontaire (pour des raisons non médicales) peut être pratiqué jusqu’à 12 semaines de grossesse. Au-delà, il est possible si la poursuite de la grossesse mettrait en danger la vie ou la santé de la mère, ou la viabilité de l’enfant. Après 20 semaines, uniquement pour sauver la vie de la femme, ou en présence de modifications morphologiques importantes ou de lésions génétiques graves avérées chez le fœtus.
En Bulgarie, l’avortement est approuvé de manière quasi unanime, a déclaré l’analyste politique conservateur Krystian Szkwarek en 2023. L’une des raisons qu’il a invoquées est que les Bulgares ne sont pas profondément influencés par la religion et ont tendance à s’écarter des opinions présentes dans des sociétés conservatrices comme la Pologne.
L’article 55 de la Constitution slovène stipule que chacun est libre de décider d’avoir des enfants. Cependant, ce sujet a récemment fait l’objet de débats de plus en plus houleux.
Les opposants à l’avortement estiment que cet article devrait être abrogé, car le déni du droit à la vie aux enfants à naître contribue également à la baisse de la natalité. Ils plaident pour une modification de la loi fondamentale et affirment que seule « la vie, de la conception à la mort naturelle » est une valeur, tandis que les pro-choix défendent une société où « les droits reproductifs, les infrastructures sociales et les soins de santé ne sont pas des privilèges, mais des biens publics fondamentaux ».
L’Institut slovène du 8 mars a été l’un des principaux organisateurs de la campagne « Ma voix, mon choix » (My voice, my choice), qui appelle à un soutien financier de l’UE pour un avortement sûr et accessible. Lors de la présentation des quelque 1,1 million de signatures recueillies, l’Institut du 8 mars a souligné l’importance du fait que la campagne soit menée depuis la Slovénie, où elle a également reçu le soutien des dirigeants politiques actuels.

Accès difficile et objecteurs de conscience
En Croatie, comme dans de nombreux autres pays, la question de ce droit suscite de profonds débats et divisions au sein de l’opinion publique. L’avortement est légal en Croatie et peut être pratiqué sur demande jusqu’à la 12e semaine de grossesse à compter du premier jour des dernières règles, ou jusqu’à la fin de la dixième semaine de grossesse à compter de la conception de l’enfant, et ensuite uniquement dans des circonstances exceptionnelles et justifiées et avec l’approbation d’une commission médicale.
L’accès varie selon la région et la disponibilité des services de santé. Les villes en offrent souvent un meilleur que les zones rurales. En pratique, il est difficile car de nombreux médecins sont objecteurs de conscience et ne pratiquent pas d’IVG. Dans certains hôpitaux publics, tous les médecins affichent ce statut.
La situation est similaire en Bosnie-Herzégovine (BiH), pays voisin candidat à l’UE. Les femmes y sont légalement autorisées à interrompre une grossesse à leur demande jusqu’à la dixième semaine, et au-delà en cas de risque pour leur santé ou si cette grossesse résulte d’un acte criminel.
Bien que ce cadre légal soit relativement libéral par rapport à la région, des rapports du Centre ouvert de Sarajevo (SOC) soulignent que les femmes de Bosnie-Herzégovine se heurtent souvent à des obstacles pour exercer ce droit, notamment le manque de structures médicales proposant des services d’avortement, les coûts variables des interventions non médicalement justifiées et la possibilité pour les médecins de refuser l’intervention pour des raisons de conscience.
De plus, le médicament utilisé pour l’avortement médicamenteux (misoprostol) n’est pas homologué à cet effet dans le pays, ce qui limite considérablement le choix des méthodes disponibles.
Contrairement aux États membres de l’UE qui lancent des initiatives pour garantir constitutionnellement le droit à l’avortement, la Bosnie-Herzégovine n’a pas encore connu de vastes campagnes visant spécifiquement à l’inscrire dans sa loi fondamentale ou à le faire passer au rang de priorité nationale. Des documents provenant d’organismes d’analyse soulignent que l’accent reste mis sur l’accessibilité pratique et l’égalité d’accès plutôt que sur de nouvelles réformes législatives.
La Hongrie a durci sa loi en 2022, obligeant les femmes qui envisagent cette procédure à observer les « fonctions vitales » du fœtus, comme le rythme cardiaque. Le gouvernement promeut également des politiques natalistes.
En Italie, l’avortement est techniquement légal sur demande jusqu’à 90 jours (environ 12 semaines), mais se heurte à des obstacles pratiques, le nombre d’objecteurs de conscience parmi les professionnels de santé étant élevé (les statistiques parlent de 63 à 80 %). Les défenseurs du droit à l’IVG réclament des réformes, notamment la suppression du délai de réflexion obligatoire de sept jours et l’autorisation de l’intervention après 90 jours lorsque la santé de la femme est menacée. Une controverse a également éclaté concernant les initiatives prises dans certaines régions pour intégrer les mouvements pro-vie dans les centres de santé publique.
Les lois les plus strictes
Malte criminalise tous les avortements, à la seule exception des cas où la vie de la mère est en danger ou où le fœtus n’a aucune chance de survie. Le pays a durci ses règles en 2023, malgré les protestations.
La Pologne, résolument catholique, est sans doute l’une des sociétés où le débat est le plus vif. Le droit à l’avortement est restreint depuis janvier 2021, par suite d’une décision de la Cour constitutionnelle supprimant la possibilité d’interrompre une grossesse en cas de malformations fœtales graves et irréversibles. Actuellement, l’IVG n’est légale que lorsque la grossesse met en danger la vie ou la santé de la femme, ou lorsqu’elle résulte d’un acte criminel tel qu’un viol ou un inceste.
Sur le plan social et politique, la question reste très clivante : des mouvements féministes comme la Grève nationale des femmes plaident pour une libéralisation de la législation et un meilleur accès aux soins de santé reproductive, tandis que les groupes conservateurs continuent de réclamer un durcissement de la réglementation.
En 2024-2025, le gouvernement a annoncé certaines modifications procédurales – par exemple, des directives garantissant que les hôpitaux ne refusent pas de pratiquer des avortements légaux – mais la législation elle-même reste très restrictive.
La bioéthicienne italienne Chiara Lalli, de l’Association Luca Coscioni, a exhorté les sociétés à cesser de considérer l’avortement « uniquement comme un dilemme moral ». Pour elle, « il est clair que la question a une dimension morale, mais l’interruption volontaire de grossesse est avant tout un service médical. »
Le débat fait rage, les forces conservatrices, catholiques et de droite s’opposant aux droits des femmes et à la législation libérale.
Cet article est une key story de l’ENR. Son contenu est basé sur des informations publiées par les agences participant à l’ENR