Utilisant une adresse internet ressemblante, le site pirate a affiché une vingtaine d’articles pro-russes et hostiles à l’Ukraine et à l’Occident. L’opération rappelle le procédé décelé par l’organisation de lutte contre la désinformation EU Disinfo Lab en septembre 2022 : une cinquantaine de sites pirates copiant des médias européens connus, tels Le Guardian, Bild ou 20 Minutes.
« Joe Biden est un terroriste : des nouvelles preuves » : c’est ce que dénonce le titre d’un article publié le 19 février 2023, qui semble à première vue avoir été publié sur le site du journal Le Parisien. Utilisant les mêmes codes graphiques que le journal, cet article accuse directement les Etats-Unis d’avoir participé aux « explosions sur les gazoducs russes Nord Stream » et prétend que « de nouvelles preuves ont émergé de l’implication des États-Unis« .
Début mai, un autre article affirme décrire « un exode massif pour échapper à l’esclavage militaire« , alors que les Ukrainiens tentent « d’échapper à une mort imminente sur le front« .
Ce dernier article a été partagé sur Twitter le 5 mai par l’ancien sénateur aux positions pro-russes Yves Pozzo di Borgo, qui précise dans un tweet partagé plus de 600 fois que l’article est issu du média Le Parisien.
Un site pirate
En réalité, Le Parisien n’a jamais publié ces articles, et les deux papiers en question ont été publiés sur un site pirate usurpant le nom et copiant la charte graphique du journal.
Au-delà de certaines erreurs grammaticales (la rubrique de l’article sur Joe Biden s’intitule « relations internationals« ), ces deux articles sont en effet issus du site leparisien.ltd, au nom de domaine différent du site Le Parisien (leparisien.fr), comme il est possible de l’observer dans les URLs encadrées en rouge ci-dessus.
Le Parisien lui-même a dénoncé ces pratiques frauduleuses et le « plagiat » du faux site, dans un article publié le 11 mai (lien archivé ici). Le journal décrit des publications qui « reprennent l’aspect des nôtres d’un point de vue graphique – et conservent par ailleurs les liens menant vers le vrai site du Parisien. Mais le titre, la photo et le texte n’ont rien à voir avec notre site« .
Le média francilien a aussi dénoncé des méthodes destinées à diffuser de « fausses informations », alors que « les articles publiés ont tous en commun de critiquer l’Occident, les États-Unis ou la guerre en Ukraine« .
Créé le 2 février comme l’indiquent les informations de domaine de l’URL (lien archivé ici), ce faux site aurait au total publié une vingtaine d’articles, tant sur la « nostalgie de la Russie » que sur la « corruption » de l’Ukraine ou « les machinations de Zelensky dans l’achat d’obus« .
Si ce faux site ne possède pas de page d’accueil, il est possible de retrouver ces articles à partir d’une recherche avancée sur plusieurs moteurs de recherche comme Google et Yandex (voir ci-dessous).
Guillemets, tiret du milieu… connaissez-vous toutes les astuces pour trouver efficacement un article, une info voire même un PDF sur internet ? pic.twitter.com/umT8jI3f1u
— AFP Factuel 🔎 (@AfpFactuel) May 10, 2023
Des opérations similaires contre d’autres médias européens depuis mai 2022
Ce type d’opération n’est pas isolé : dans un rapport publié en septembre 2022 (lien archivé ici), l’organisation de lutte contre la désinformation EU Disinfo Lab avait déjà observé dix-sept usurpations de sites de médias européens, comme celui du Guardian au Royaume-Uni ou de 20 Minutes en France depuis mai 2022. Au total, l’organisation européenne avait mis en lumière l’existence de plus de 50 faux noms de domaine qualifié de sites « doubles » (« doppelganger ») et destinés à imiter ces médias traditionnels.
EU Disinfo Lab avait ainsi révélé que le média allemand Bild (dont l’URL est : bild.de) avait subi les mêmes procédés. En août 2022, un article du site miroir bild.eu.com prétendait que la criminalité à Berlin avait « fortement augmenté en raison de l’extinction massive des lumières » de la ville à cause de la crise énergétique.
Ces sites-miroirs, qui ne possèdent généralement aucune page d’accueil, sont en réalité des pages indépendantes les unes des autres, dont les liens et menus disponibles redirigent vers le site copié. C’est le cas des liens et menus affichés sur le site « leparisien.ltd », qui renvoient tous vers le site « leparisien.fr », mais aussi de ceux du site Bild, comme l’explique le graphique du EU Disinfo Lab issu de son rapport.
L’AFP avait déjà consacré un article de vérification en allemand à ce même réseau de faux comptes pro-russes en septembre 2023.
« Difficile de ne pas y voir l’ombre de la Russie »
Quelle est l’origine de ces campagnes ? « Plusieurs signes nous font penser que des acteurs russophones ont joué un rôle important dans la conception de ces opérations« , indique le EU Disinfo Lab dans son rapport, tout en précisant ne pas avoir pu retracer précisément l’origine de ces sites pirates.
Fin septembre, la société-mère de Facebook Meta avait aussi expliqué avoir « supprimé un vaste réseau originaire de Russie […] de plus de 60 sites web se faisant passer pour des sites web légitimes d’organisations de presse en Europe, notamment Spiegel, The Guardian et Bild« , dans un rapport publié le 27 septembre (lien archivé ici).
« À quelques reprises, le contenu de l’opération a été amplifié par les pages Facebook des ambassades russes en Europe et en Asie« , avait précisé l’entreprise, qualifiant la campagne d' »opération d’origine russe la plus vaste et la plus complexe » lancée en Ukraine depuis le début de la guerre et amplifiée par des publicités en ligne et des faux comptes.
Même chose du côté du Parisien, qui considère qu’il est « difficile de ne pas y voir l’ombre de la Russie« , dans un contexte de guerre informationnelle, malgré l’impossibilité « en l’état de remonter jusqu’au créateur de ce faux site« .
Le journal a par ailleurs annoncé avoir lancé une procédure pour « faire cesser ce plagiat« . Le Parisien a indiqué avoir « récemment déposé une plainte » auprès de l’Icann, un régulateur mondial chargé de l’attribution des adresses sur internet, dans l’espoir de récupérer rapidement le nom de domaine litigieux, « leparisien.ltd ».
Nathan GALLO
AFP France
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