La promotion de l’énergie nucléaire est longtemps restée un tabou à Bruxelles, mais un sommet très médiatisé sur le sujet a envoyé le message que cette industrie – désormais présentée par ses champions comme la clé de la lutte contre le changement climatique – est de retour.
Lors du sommet, 32 pays qui exploitent actuellement des centrales nucléaires ou cherchent à les développer dans le monde entier ont adopté une Déclaration sur l’énergie nucléaire. Selon un communiqué de presse, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et les pays signataires réaffirment leur « ferme engagement en faveur de l’énergie nucléaire en tant qu’élément clé de (leur) stratégie mondiale visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre des secteurs énergétique et industriel, à garantir la sécurité énergétique, à améliorer la résilience énergétique et promouvoir le développement durable à long terme et la transition énergétique propre ».
Le premier sommet de l’AIEA organisé pour promouvoir l’énergie nucléaire a réuni des représentants d’une cinquantaine de pays – membres de l’UE mais aussi les États-Unis et la Chine – et 25 dirigeants, dont le président français Emmanuel Macron. Le directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi, a rappelé que lors de la conférence sur le climat COP28, il avait été convenu d’« accélérer » le déploiement de l’énergie nucléaire.
Commentant le sommet, Michael Bloss, responsable politique allemand du climat pour les Verts au Parlement européen, a déclaré:
« L’énergie nucléaire est une impasse coûteuse. C’est un jeu de subventions massives qui n’est pas rentable, tout simplement. Il a ajouté que « la construction de centrales nucléaires coûte incroyablement cher, prend du temps et ne fournit même pas assez d’électricité ».
Michael Bloss, député européen Verts/ALE
Au sein de l’UE, le débat sur le nucléaire divise les États membres. Un groupe – comprenant l’Allemagne, l’Espagne, l’Autriche et le Luxembourg – s’oppose clairement à son développement, tandis qu’un autre groupe – comprenant la France, la Finlande, la Hongrie et la Roumanie – défend son potentiel.
Les partisans du nucléaire le présentent comme un moyen d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, conformément aux objectifs climatiques de l’UE. Ceux qui s’opposent au développement de cette énergie en Europe soulignent les risques élevés, comme l’ont montré les catastrophes des réacteurs de Tchernobyl (1986), à l’époque en Union soviétique, et de Fukushima, au Japon (2011).
En 2021, la cheffe de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a fait la une des journaux en affirmant que l’UE avait besoin du nucléaire comme « source stable » d’énergie, et Bruxelles l’a ensuite classé sur sa liste des investissements durables.
Des réacteurs nucléaires sont actuellement en service dans douze des 27 pays membres de l’UE et deux nouvelles centrales sont en construction en Slovaquie et en France. La plupart se situent en France. La Pologne a également l’intention de relancer un programme d’énergie nucléaire et la République tchèque envisage de construire de nouveaux réacteurs, même si l’on ne sait pas encore exactement combien.
La France : championne du nucléaire dans l’UE
Au cours des deux dernières années, la France, pionnière dans ce domaine, a joué un rôle décisif en élaborant une réglementation plus favorable et en remettant le nucléaire à l’ordre du jour de l’UE. 56 des 100 centrales nucléaires européennes se trouvent en France. La construction de 14 nouvelles, voire davantage, est envisagée.
En tant que puissance nucléaire, la France ne se limite pas à son approvisionnement énergétique : le ministère français de la Défense a récemment annoncé qu’il souhaitait enrichir des matières contenant du lithium dans deux réacteurs de la centrale de la petite ville de Civaux, dans le centre du pays. Le tritium, « un gaz rare indispensable aux armes de dissuasion », en sera ensuite extrait.
La France est le seul membre de l’Union européenne à posséder des armes nucléaires, depuis la sortie officielle du Royaume-Uni en 2020. Le ministère français de la Défense a annoncé une collaboration avec Électricité de France (EDF), la principale entreprise énergétique du pays, pour produire du tritium.
Début 2023, la France a été à l’avant-garde du lancement d’une « alliance nucléaire » regroupant une douzaine de membres de l’UE, dont la Pologne, la Bulgarie, la Finlande et les Pays-Bas, dans le but de peser sur la politique énergétique.
La France et la Bulgarie ont signé en février un accord dans le domaine de l’énergie nucléaire, permettant aux entreprises industrielles des deux pays de participer à la maintenance des centrales électriques existantes et à de nouveaux projets.
En janvier, le ministre bulgare de l’Energie Rumen Radev et le secrétaire adjoint américain à l’Energie pour les Affaires internationales Andrew Light ont également signé un accord intergouvernemental de coopération sur un projet nucléaire sur le site de la centrale de Kozloduy et un programme nucléaire civil en Bulgarie. Le 21 mars, le Parlement bulgare a voté la ratification de l’accord.
Le français EDF est également en lice pour la construction d’un nouveau réacteur à Dukovany (République tchèque), aux côtés du sud-coréen KHNP. Le gouvernement tchèque attend des offres officielles pour avril. Les contrats devraient être signés fin 2024 et début 2025 et le premier réacteur devrait entrer en service en 2036.
Les ambitions européennes montent
La Roumanie entend devenir un leader régional dans le domaine de l’énergie nucléaire, a déclaré son président Klaus Iohannis lors du sommet à Bruxelles. Il a souligné que le changement climatique représente « un défi mondial » qui nécessite une action coordonnée et des mesures ambitieuses.
La Serbie voisine n’a aucune expérience en matière d’énergie nucléaire, a indiqué le président serbe Aleksandar Vučić lors du sommet. La Serbie, a-t-il dit, est confrontée à trois problèmes : le manque de savoir-faire et d’experts, le manque de financement et l’état d’esprit actuel de la population. Il a ajouté que la Serbie souhaitait acquérir au moins quatre petits réacteurs modulaires (SMR), mais a souligné qu’elle aurait besoin du soutien financier des principaux États de l’UE.
En Slovénie, une centrale nucléaire est en service depuis 1983 à Krško, près de la frontière avec la Croatie. Elle produit environ 40 pour cent de l’électricité du pays, et la moitié de cette énergie appartient à la Croatie, copropriétaire de l’usine. En novembre, les citoyens slovènes devraient voter lors d’un référendum consultatif sur la construction d’une nouvelle centrale nucléaire (Jek2), également à Krško.
La Suède possède actuellement six réacteurs nucléaires en activité, à Forsmark, Oskarshamn et Ringhals, tous construits dans les années 1980. Six réacteurs plus anciens ont été fermés entre 1999 et 2020. Parmi eux, la centrale de Barsebäck, qui – située dans le sud de la Suède, près du Danemark – a été critiquée pendant de nombreuses années par le pays voisin.
En Suède, la question de l’énergie nucléaire a été l’un des principaux enjeux politiques de ces dernières années. Au lieu de supprimer progressivement le réseau, comme cela a été décidé après un référendum non contraignant en 1979, le gouvernement de droite actuel prépare une forte montée en puissance avec la construction de nouveaux réacteurs, petits et grands. Après de nombreuses années de critiques, l’énergie nucléaire gagne de plus en plus en popularité auprès de la population et des partis politiques.
Les renouvelables toujours au cœur du débat énergétique
Malgré la position plus accommodante de l’UE, le débat « nucléaire contre renouvelables » alimente toujours une impasse entre Paris et Bruxelles : la France n’a pas réussi à atteindre les objectifs fixés par l’UE en matière d’énergies renouvelables en 2020, mais refuse de faire amende honorable – arguant que son empreinte carbone est suffisamment faible, grâce au nucléaire.
La position de la France n’est pas appréciée par de nombreux militants écologistes – ainsi que par des pays membres de l’UE comme l’Espagne, l’Autriche, l’Allemagne et le Luxembourg, qui forment ensemble une alliance baptisée « Amis des énergies renouvelables ».
L’eurodéputé vert allemand Michael Bloss a déclaré : « Nous devons intensifier nos efforts en faveur du développement des énergies renouvelables. Relancer le débat nucléaire maintenant ne fera que bloquer les progrès. C’est ainsi que nous mettons en péril notre leadership dans le Green Deal. »
Le chancelier Olaf Scholz a rejeté les appels en faveur d’un retour à l’énergie nucléaire en Allemagne, soulignant les coûts élevés et les longs délais de construction. L’électricité provenant des centrales nucléaires coûte beaucoup plus cher que l’électricité provenant de l’éolien, du solaire ou d’autres sources, a déclaré Scholz.
Bien qu’il ne possède pas de centrales nucléaires, le Portugal dispose d’une législation étendue en matière nucléaire, notamment dans le domaine radiologique. Il existe de nombreux organismes dans différents ministères exerçant des responsabilités dans ce domaine – par exemple pour contrôler la centrale nucléaire espagnole d’Almaraz, qui utilise l’eau du Tage (qui coule dans les deux pays) pour son refroidissement.
L’investissement se porte sur les sources d’énergies renouvelables qui ont fourni 61 pour cent de l’électricité du Portugal en 2023, contre 49 pour cent un an plus tôt, atteignant un nouveau record après des périodes de pluies abondantes, de forts vents et de bon ensoleillement, a déclaré l’opérateur de réseau REN.
En dehors de l’UE, la Macédoine du Nord, par exemple, ne possède pas non plus de centrale nucléaire, mais elle s’est engagée à éliminer progressivement le charbon d’ici 2027. Cet Etat a préparé ses premières lois et des accords sur les investissements stratégiques pour faciliter et accélérer le développement de centrales exploitant des sources renouvelables. Les quatre premiers projets sont les centrales solaires de Pehčevo et Stipion, une installation de cogénération à Skopje et une centrale photovoltaïque équipée aussi de moteurs à gaz.
Cet article est publié chaque semaine. Le contenu est basé sur les informations des agences participant à l’ENR.