Le troisième sommet UE-CELAC à Bruxelles, auquel étaient invités plus de 30 chefs d’État et de gouvernement des Caraïbes et d’Amérique latine, était la première réunion de ce type depuis huit ans. Cette rencontre intervient à un moment où l’UE se détourne de la Russie et de la Chine, partenaires commerciaux importants, et tente de diversifier ses fournisseurs.
Lundi, de nombreux chefs d’État et de gouvernement avaient promis de conclure d’ici la fin de l’année l’accord de libre-échange resté en panne entre l’UE et la communauté économique du Mercosur, qui regroupe l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. Des questions concernant la protection de l’environnement et la concurrence déloyale sont toujours en suspens.
Bruxelles convoite d’importantes matières premières présentes naturellement en Amérique latine et très demandées en UE. Elles pourraient soutenir la transition des combustibles fossiles vers une industrie plus respectueuse du climat en UE.
En outre, certains dirigeants latino-américains et caribéens se sont abstenus d’imposer des sanctions de grande envergure à la Russie. Ils ont souligné à plusieurs reprises les conséquences de la guerre sur les prix mondiaux des denrées alimentaires et de l’énergie, et appelé à des pourparlers de paix.
Nouvelle avancée pour un accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur
L’accord de libre-échange entre l’UE et les pays du Mercosur a pris lundi un nouvel élan lorsque les chefs d’État et de gouvernement se sont engagés à finaliser rapidement des projets depuis longtemps au point mort. L’accord était en suspens depuis la fin des négociations en 2019.
Certains États membres de l’UE avaient demandé un ajout dans les domaines du climat, de l’environnement et des droits de l’homme, suite à la brusque augmentation de la déforestation en Amérique latine. « Notre objectif est de résoudre les différences restantes le plus rapidement possible afin de pouvoir conclure cet accord », a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
On ignore encore si l’accord, qui pourrait créer l’une des plus grandes zones de libre-échange avec plus de 700 millions d’habitants, sera conclu d’ici la fin de l’année.
Le Premier ministre irlandais, Leo Varadkar, s’est prononcé contre l’accord commercial à venir sans nouvelles dispositions sur la protection du climat et la déforestation. La France, l’Allemagne et les Pays-Bas avaient exprimé des préoccupations similaires par le passé. En 2019, le Parlement autrichien avait voté contre l’accord commercial lors d’un vote contraignant, à cause d’inquiétudes sur l’environnement et la concurrence.
Un accord équilibré entre le Mercosur et l’Union européenne, accord que nous voulons conclure cette année, ouvrira de nouveaux horizons
Luiz Inácio Lula da Silva, président de la république fédérative du Brésil
Le président brésilien, Luiz Inácio Lula da Silva, a souligné l’importance des marchés publics entre le bloc commercial Mercosur et l’UE. « Un accord équilibré entre le Mercosur et l’Union européenne, accord que nous voulons conclure cette année, ouvrira de nouveaux horizons », a ajouté Lula. Le président argentin Alberto Fernández a également appelé à un équilibre dans les relations entre les deux continents, sans quoi les projets « ne seront plus un accord, mais une blague ».
En mai, des militants écologistes ont escaladé le bâtiment du Conseil de l’UE à Bruxelles pour protester contre l’accord commercial avec le Mercosur. Ils brandissaient des banderoles sur lesquelles on pouvait lire « Stop UE-Mercosur ». Les écologistes ont déclaré sur Twitter : « Cet accord est une catastrophe pour la nature, les agriculteurs et les droits de l’homme. » L’UE mène des discussions sur un accord avec le Mercosur depuis 1999. Les obstacles sont notamment les demandes de protection de la forêt amazonienne contre la déforestation, qui profite à l’élevage, et l’arrêt du développement de l’agriculture.
Découplage avec la Chine, nouveau couplage avec la CELAC
Afin de démontrer l’intérêt renouvelé de Bruxelles pour la région, l’UE s’est engagée à investir d’ici 2027 plus de 45 milliards d’euros dans des plans d’investissement pour des partenaires en Amérique du Sud et dans les Caraïbes. Cela fait partie de la stratégie dite Global Gateway du bloc, une initiative visant à relier la région au reste du monde et à concurrencer les investissements de la Chine dans les infrastructures mondiales.
L’UE et ses partenaires d’investissement se sont mis d’accord pour donner la priorité à des secteurs allant de « l’énergie propre et des matières premières essentielles jusqu’à la santé et à l’éducation », a déclaré lundi la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Les matières premières importantes existant naturellement en Amérique latine sont très demandées en UE pour y permettre le passage des combustibles fossiles à une industrie plus respectueuse du climat. En marge du sommet, le Chili et la Commission européenne ont signé un accord de partenariat visant à renforcer la coopération en matière de fourniture de matières premières à l’Europe.
Plus de 135 projets de transition verte et numérique des deux côtés de l’Atlantique sont « déjà en préparation », a déclaré von der Leyen. L’extension des réseaux de télécommunications en Amazonie brésilienne, le développement d’un réseau 5G en Jamaïque, l’électrification des transports publics au Costa Rica et des investissements dans des mines de lithium en Argentine et au Chili comptent au nombre des autres plans.
La ministre slovène des Affaires étrangères Tanja Fajon, représentant le Premier ministre Robert Golob, a déclaré qu’elle cherchait à renforcer la coopération, notamment dans la lutte contre le changement climatique et en matière d’intelligence artificielle (IA). Elle a évoqué le rôle du centre slovène de l’UNESCO pour l’IA, qui pourrait être opérationnel d’ici la fin de l’année.
Alors que les intérêts de la Croatie dans ses relations avec les pays de la CELAC sont les mêmes que ceux de l’UE, le Premier ministre croate Andrej Plenković considère l’importance de la diaspora croate dans cette partie du monde comme un motif supplémentaire de coopération. « Pour comprendre notre position, il est important de garder à l’esprit que, selon nos estimations, jusqu’à 650 000 Croates vivent en Amérique latine et dans les Caraïbes », a-t-il déclaré.
Outre les possibilités de coopération économique renforcée, un autre point important à l’ordre du jour du sommet était le souhait des États membres de l’UE d’exprimer leur solidarité avec l’Ukraine tourmentée par la guerre.
Les alliés de la Russie portent un coup aux efforts de l’UE en Ukraine
Les dirigeants de l’UE et de la CELAC ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur une déclaration rendant la Russie responsable de la guerre en Ukraine, ce qui met en évidence leurs divergences dans cette crise. Les désaccords avaient commencé avant même le sommet, lorsque le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez avait invité son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky. Plusieurs pays d’Amérique latine ont mis leur veto à sa participation à l’événement, comme l’a déclaré Zelensky lui-même.
Le communiqué commun publié à l’issue du sommet exprimait une « profonde préoccupation » concernant le conflit, sans pour autant mentionner la Russie. Les 27 membres de l’UE et 32 des 33 pays de la CELAC ont approuvé les déclarations finales, seul le Nicaragua ne les a pas soutenues.
Les diplomates ont expliqué que le Nicaragua, Cuba et le Venezuela s’étaient opposés aux déclarations critiquant la Russie, tandis que d’autres pays s’étaient certes prononcés en faveur de la souveraineté de l’Ukraine mais avaient souligné que d’autres crises et conflits méritaient également l’attention du monde.
« Nous ne pouvons pas transformer ce sommet entre l’Union européenne et la CELAC en un sommet sur l’Ukraine », a déclaré Ralph Gonsalves, président de la CELAC et Premier ministre de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. « Bien sûr, l’Ukraine est un sujet d’une grande importance pour l’Europe et le monde, mais d’autres conflits le sont aussi », a-t-il ajouté, faisant référence à la crise en Haïti, à la lutte des Palestiniens pour leur indépendance et à diverses guerres en Afrique qui méritent l’attention de l’Europe.
Ici, en Europe, c’est difficile à imaginer, mais en Amérique latine, la Russie est présentée comme un pays pacifique qui a été attaqué par l’OTAN
Mateusz Morawiecki, Premier ministre de la Pologne
Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a demandé sans détour que les pays ayant jadis souffert du colonialisme européen reconnaissent que la Russie représentait aujourd’hui une menace impérialiste. « Ici, en Europe, c’est difficile à imaginer, mais en Amérique latine, la Russie est présentée comme un pays pacifique qui a été attaqué par l’OTAN », a-t-il déclaré.
Alors que les chefs d’État et de gouvernement se réunissaient à Bruxelles, la Russie a refusé de prolonger un accord autorisant les exportations de céréales ukrainiennes via la mer Noire. Cela a conduit l’ONU à signaler que des millions de personnes parmi les plus pauvres du monde en paieraient le prix.
Sur le thème de la paix, la Première ministre italienne Giorgia Meloni a également lancé un avertissement lors de la session plénière du sommet. « Nous devons donner aux mots le sens qu’ils ont : le mot paix ne doit pas être confondu avec le mot invasion. Si quelqu’un pense pouvoir confondre ces deux mots, il ne se rend pas compte qu’un monde dans lequel le droit international n’existe plus ne sera jamais un monde de paix », a-t-elle déclaré.
Parmi les autres thèmes abordés lors du sommet, qui se tiendra désormais tous les deux ans, figurait l’impact à long terme de l’esclavage. Dans la déclaration finale, tous les chefs d’État et de gouvernement ont « reconnu et profondément regretté les souffrances indicibles infligées à des millions d’hommes, de femmes et d’enfants par la traite négrière transatlantique ».
Cette rubrique paraît le vendredi. Le contenu est basé sur les informations des agences participant à l’enr.